La cuisine haïtienne est bien plus qu’un art culinaire : c’est une mémoire vivante, un récit de lutte, de transmission et de dignité. Née dans la douleur de l’esclavage, elle s’est nourrie des traditions africaines, des influences européennes, et des ressources naturelles de l’île. C’est une cuisine de résistance, de créativité et de survie, devenue au fil du temps un symbole d’identité et de fierté nationale.
Une histoire culinaire forgée dans la lutte
Sous l’esclavage, les Africains réduits en servitude n’avaient accès qu’aux restes ou à des produits de faible qualité. Mais avec leur savoir-faire ancestral, ils ont transformé ces aliments simples en plats riches de sens et de saveurs. En mélangeant mil, gombo, épices, manioc, igname, maïs, ou bananes plantains, ils ont donné naissance à une cuisine unique, à la fois nourrissante et profondément symbolique.
Les outils de la mémoire
Encore aujourd’hui, la cuisine haïtienne s’appuie sur des outils traditionnels transmis de génération en génération :
Calbas (calebasses) : utilisées comme bols ou récipients.
Guillet en bois : grandes cuillères sculptées à la main, servant à brasser et à servir.
Cocoye grage : râpe artisanale utilisée pour la noix de coco.
Pilons et mortiers : en bois ou en pierre, utilisés pour piler grains, épices et maïs.
Krèp kafé : filtre en tissu utilisé pour préparer le café haïtien, rituel du matin et geste sacré du quotidien. Le krèp n’est pas qu’un simple morceau de coton : il filtre bien plus que du café – il filtre l’histoire, les silences, les souvenirs, et chaque goutte recueillie dans la tasse résonne comme un appel aux ancêtres.
Ces objets ne sont pas de simples ustensiles : ils incarnent un lien avec les ancêtres, avec la terre, avec le peuple.
Les plats comme symboles vivants
Certains plats sont devenus des repères historiques :
Soup Joumou : jadis interdite aux esclaves, elle est devenue le symbole de l’indépendance. Le 1er janvier 1804, elle fut consommée comme un acte de libération.
Tiaka (ou tchaka) : ragoût de maïs, pois congo et viande, préparé lentement pour les grandes occasions, témoignage de patience, de générosité et de fête.
Riz collé, légim, bouillon, akasan, banann peze, et bien d’autres plats, racontent l’histoire d’un peuple qui a su s’adapter, résister et célébrer la vie malgré l’adversité.
Cheffe Leen : une cuisine engagée, un acte de mémoire
Dans cette lignée s’inscrit Cheffe Leen, figure contemporaine emblématique. Pendant plus de huit jours sans sommeil, elle a cuisiné non pour séduire, mais pour honorer une mémoire collective. À travers ses plats, elle rend hommage à ceux et celles qui, de l’esclavage à aujourd’hui, ont nourri Haïti par leur labeur, leur savoir-faire et leur résilience.
Elle n’a pas battu le Guinness World Record en servant des plats de vitrine, choisis pour “faire joli”, mais avec la force discrète de la cuisine paysanne, avec des mets porteurs d’histoire, de terroir, de mémoire.
À ceux qui critiquent la “représentation” : regardez plus loin
Certains critiques, coupés des réalités profondes de la culture haïtienne, ont osé dire que les plats de Cheffe Leen n’étaient “pas représentatifs”. Mais que signifie “représenter Haïti” ? Une image figée ? Un cliché exotique ? Une assiette calibrée pour l’exportation ?
La vraie cuisine haïtienne n’est pas une vitrine touristique. Elle est rurale, urbaine, spirituelle, résistante. Elle est née dans les lakou, autour du feu, avec les mains calleuses, le charbon qui fume, le pilon qui résonne.
Ce que Cheffe Leen propose, c’est une représentation fidèle de cette Haïti profonde, celle qui travaille, qui partage, qui transforme les restes en richesse, la douleur en fierté.
Une cuisine qui unit, qui élève, qui raconte
Dans ses plats, on retrouve :
La texture brute de la terre : légumes secs, racines, épices, transformés avec soin.
La main ouvrière : celles des femmes et des hommes qui cuisinent avec patience, héritage et amour.
L’âme du lakou : espace communautaire de transmission, de solidarité et de partage.
Manger pour résister, pour se souvenir, pour s’élever
Dans l’histoire haïtienne, manger a toujours été un acte de lutte :
Pour survivre à l’oppression.
Pour célébrer la liberté.
Pour transmettre une culture vivante.
Cheffe Leen ne cuisine pas pour plaire aux standards extérieurs, elle cuisine pour revaloriser la vérité du peuple haïtien, pour élever la cuisine paysanne au rang de patrimoine, pour unir et faire mémoire.
une vérité servie dans chaque assiette
Ce que certains appellent “non représentatif” est en réalité la représentation la plus juste, la plus enracinée, la plus authentique de la cuisine haïtienne. Cheffe Leen n’a pas mis l’apparence au centre, elle a mis l’histoire.
Et c’est là que réside la véritable fierté de la cuisine haïtienne : elle ne s’imite pas, elle se vit.
– Samuel Georges