L’urgence d’un congrès patriotique

La République d’Haïti se trouve à un carrefour décisif de son histoire. À un moment où le pouvoir global ayant à sa tête Washington, se trouve empêtré dans plusieurs dossiers concernant Haïti, en raison de son manque d’intérêt pour ce petit pays de la Caraïbe, de l’indifférence et même du mépris que lui inspire la première République noire indépendante du monde.  

La destruction de l’État d’Haïti est attachée à ce mépris. Car les rapports entre le monde occidental avec Haïti ont toujours été inégaux, dès l’Indépendance en raison de l’histoire même du pays, qui est la négation des idées colonialistes et racistes de l’occident capitaliste. C’est à partir de ce ratio qu’il a existé après 1804 une interdiction idéologique et même légale d’Haïti d’accepter cet État, voire de le reconnaître comme une nation à part entière.

L’existence et la nature de cette politique arrogante de domination teintée de dédain et d’insolence se sont confirmées au cours des dix dernières années dans la stratégie de la communauté internationale en Haïti. Dans son rapport biaisé avec Haïti, elle a poussé la présidence de Jovenel Moïse jusqu’à l’absurdité. Pour l’heure, il est difficile d’évaluer le nombre de victimes de cette politique conduite par l’ambassade américaine en Haïti sous la houlette de Madame Michèle Sison, celle qui se comportait comme la grande impératrice d’Haïti. L’ignorance du pays et la bêtise cruelle de cette dame associée à une stratégie erronée de la représentation de l’ONU en Haïti ont été fatales. Des citoyens et citoyennes ont été tués, massacrés, kidnappés et violés sans qu’il y ait eu de réactions d’indignation sincères de la part de ces « tuteurs », sauf quelques très rares condamnations du bout des lèvres. Dans ce jeu macabre des impérialismes, les Haïtiens doivent être des boucs émissaires à qui reviennent les lourdes tâches de poursuivre les auteurs de telles atrocités contre le genre humain alors que l’appareil judiciaire est vassalisé par l’Exécutif. Il faut avoir une bonne dose de dépréciation d’une nation, d’un pays, d’un peuple, d’une collectivité humaine pour pratiquer une telle politique faite d’autant d’aveuglément et de déconsidération. Il faut dire que pour que tout cela soit possible, une infrastructure mais surtout des agents locaux aliénés prêts à participer à cette œuvre de destruction nationale doivent exister. Ce qui est sûr, c’est que sans la participation active des incorrigibles aliénés locaux, sans conscience nationale et sans vision, cette politique erratique et inadaptée n’aurait pas eu tant de succès dans l’accomplissement des objectifs américains en Haïti. On les a laissés instaurer le cycle d’instabilité et la violence chez nous. La démocratie électorale telle que conçue pour Haïti reste à désirer. Pourtant, le Premier ministre actuel s’attelle aux préparatifs de ces compétitions électorales prévues pour la fin de l’année 2022 sous l’égide d’une nouvelle constitution consacrant l’autoritarisme. C’est le mécanisme par lequel la minorité agissante sous le contrôle de l’international entend capturer l’État au détriment de la nation haïtienne. Je rappelle que le texte de 1987, en dépit de ses imprécisions, ambiguïtés, et voire même des contradictions, qu’il reste à corriger, lorsque les circonstances le permettront est une bonne constitution.

Michele Sison n’était pas « la brave », comme l’a souligné ironiquement le talentueux intellectuel et écrivain haïtien, Pierre Raymond Dumas. Elle est ce qu’elle est, une Américaine cynique, l’envoyée des États-Unis en Haïti qui a installé chez nous un système de type colonial sous le couvert d’une démocratie réduite, plutôt synonyme de totalitarisme. Elle est arrivée en terrain conquis. En face d’elle se trouvaient des élites enchaînées jusqu’au cou, des esclaves sans talent à la recherche de reconnaissance. Les braves, j’en connais pour les avoir croisés : ce sont les masses rurales et urbaines indomptables qui, historiquement, ont toujours gardé Haïti en vie face à la trahison constante des élites, sans tambour ni trompette.

Malheureusement, Haïti n’a pas d’élite mais des échantillons d’élite car il n’y pas d’élite sans vocation, tout comme il n’existe pas d’intellectuels sans engagement.

À cause de cette absence d’élite, Madame Sison poursuit chez nous une politique inadéquate, comme d’autres avant. C’est irritant certes mais le plus désagréable est notre soumission à la brutalité, à l’inhumanité, notre volonté d’être à tout jamais esclaves malgré le geste de 1804 par lequel nos ancêtres nous avaient pourtant rendus libres.

C’est pourquoi Haïti a besoin d’une élite patriotique, civique, éthique pour pouvoir donner naissance plus tard à d’autres élites conscientes et responsables.

En ce sens, l’année 2022 doit être l’année de la ferveur patriotique. Notre devise – l’union fait la force – doit servir de guide à ce renouveau patriotique. De même, l’union des noirs et mulâtres est indispensable pour appliquer ce patriotisme et avancer. Sans ces deux mouvements, c’est la défaite assurée, l’anéantissement, la mort, comme on le constate d’ailleurs déjà depuis des lustres. La mort est déjà à nos portes depuis trop longtemps et ces dernières années elle est fatalement devenue notre quotidien. Faisons le pari de de la survivance et qu’il soit pour nous un souci constant ! Pour atteindre cet état, il faut passer par la case du compromis inévitable. C’est-à-dire qu’il est vital d’abandonner une fois pour toutes les sempiternelles querelles de couleur et de classe. Les noirs progressistes et les bourgeois à l’esprit moderne doivent enfin de se trouver pour garantir cette survivance afin de lancer la grande œuvre de reconstruction nationale.

C’est pourquoi qu’à la place de la conférence nationale, je propose un congrès patriotique sous forme de manifeste pour assurer les fondements du patriotisme haïtien et de l’unité nationale dans la perspective de créer une communauté de foi et d’aspirations. C’est la seule façon de parler à nous-mêmes et au monde. Qui perd son nationalisme versus patriotisme perd sa foi. Notre nationalisme global est notre identité de peuple hospitalier et accueillant. Notre vision du monde doit découler de notre nationalisme global, de ce que nous sommes dans l’histoire universelle. Il n’y a pas de justification intellectuelle en dehors de notre héritage historique fondé sur l’universalité des droits. Toutes choses que malheureusement nous avons perdues au fil de nos gestions politiques chaotiques et cruelles.

Le temps est au déploiement du patriotisme haïtien. Le peuple haïtien est menacé. Son seul espoir réside dans sa culture, son histoire, seuls moyens de garantir sa pérennité. Haïti doit trouver sa place pour replacer le monde et ses ennemis à leur place. Il faut que nos religions officielles – le vaudou et le christianisme – ne s’excluent pas comme jadis mais qu’elles visent une mobilisation cohérente pour maintenir l’unité spirituelle de nation et sa survivance.

Une alliance entre la religion et le patriotisme serait nécessaire. Cela veut dire qu’il faut être citoyen avant d’être chrétien ou vaudouisant pour pouvoir suivre le chemin de la justice que Dieu nous a tracée. Nos églises et nos temples vaudou doivent être le haut lieu de la citoyenneté responsable où se réunit tout le patriotisme haïtien. On s’est trompé quand on a pu croire que le Saint Esprit peut tout changer ou les loas peuvent nous protéger contre les monstres que nous avons créés. Seule l’éducation peut ramener l’homme de l’état de nature à l’état de la raison. Seule l’équité peut réduire l’injustice parmi les hommes. De cette catastrophe, doivent naître une nouvelle spiritualité, une nouvelle église haïtienne et le recul des circonstances ayant conduit à la perte des valeurs, le naufrage de la conscience civique et morale, la banalisation de la vie, la déliquescence et tout ce qui va avec.

Je m’oppose à l’idée d’une conférence nationale qui réunira des contrebandiers, des hommes et affaires louches de l’élite économique, les boss de la criminalité organisée du secteur politique, les copieurs et fraudeurs académiques de la classe dite intellectuelle incapables d’évoluer dans une société haïtienne dominée par les règles de droit, les principes de la démocratie et la bonne gouvernance, lesquels constituent l’idéologie dominante à laquelle nous adhérons comme collectivité moderne.

Dans le but de créer l’espoir, plus que tout autre chose, la bataille économique est celle à gagner pour remettre Haïti sur la voie du développement nationale et répondre aux besoins de chaque Haïtien. Ce sont des élites attachées à la production qui feront le respect d’Haïti et sa force. La production est le moteur de la domination. Elle est aussi la seule façon de résister à la domination des autres peuples. Nous avons tout un peuple à mettre au travail et à l’école de la démocratie, qui ne doit pas être un début mais la fin d’un processus. car aucune démocratie ne peut survivre dans la crasse et la pauvreté. La dignité ne peut être gagnée que par le travail. C’est la production nationale qui garantira la souveraineté de l’État. L’emprise sur l’économie est l’objectif final de toute domination.

Cela dit, en raison des valeurs communes auxquelles les nations sont liées, les conflits militaires sont peu probables dans notre monde d’aujourd’hui. C’est d’abord sur le terrain économique que s’expriment leurs divergences d’ intérêt. Les rivalités se déplacent entre les pays. Si l’économie juge tout, y compris le droit et devient tout, alors en quoi se résume notre intelligence économique face à ces positions, dans un contexte où la géoéconomie a pris le pas sur la géopolitique ? Il faut une reconversion d’Haïti dans le système global, sinon il y a risque de disparition. Les soi-disant élites locales sont-elles prêtes pour ce virage ? Quelle compréhension ont-elles du monde actuel ?

Au total, il ressort de ces considérations que nous sommes dans une grande impasse. Le pays est fermé, les entités criminelles contrôlent une bonne partie du territoire de l’Etat : c’est l’isolement complet ! Ce fait n’est pas le produit du hasard : il est le résultat des politiques appliquées par les différents gouvernements. Ce ne sont pas les puissances tutrices qui ont échoué dans leurs recettes pour Haïti qui doivent nous inspirer dans la recherche des solutions à nos difficultés actuelles. La nécessité et le besoin d’un réveil patriotique se font jour afin d’ouvrir de nouvelles voies d’avenir. L’expérience entre Haïti et les Etats-unis est douloureuse. Elle nous invite à concevoir l’avenir autrement. C’est pourquoi, je ne cesse de rappeler que l’anti-occidentalisme – et encore moins, l’antiaméricanisme – est stérile et improductif. Les États-Unis doivent compter pour Haïti pour plusieurs raisons.. C’est une réalité incontournable. La réflexion à laquelle le Journaliste politologue Daly Valet nous convie est que les Haïtiens doivent se résoudre enfin à mettre de l’ordre chez eux, s’ils veulent imposer un changement de paradigme dans les relations entre Haïti et les grandes nations du monde. Cela veut dire que les relations entre l’occident et Haïti et plus précisément avec les Américains ne sauraient se réduire à un affrontement continu ou une domination permanente. Pour l’heure, comme il l’a souligné, il y a urgence de corriger cette anomalie qu’est la normalisation des diktats de l’Oncle Sam dans les affaires haïtiennes. A la domination brutale, nous devons faire la promotion d’un partenariat basé sur le respect des intérêts des deux pays.

Patriotes, après tous ces manques, manquements et défaillances, faisons des années à venir celles de la majesté d’Haïti. Un partenariat est nécessaire  pour concerter sur la marche à suivre pour y arriver plus sûrement. Nous devons au plus vite construire ce réseau de patriotes progressistes et engagés face à la démission collective et la déresponsabilisation des élites de chez nous. Ces congrès patriotiques que j’appelle de tous mes vœux pour faire naître une nouvelle société haïtienne demeurent la seule action à la mesure de la catastrophe.

Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel à l’université d’État d’Haïti
Professeur de droit des affaires à l’UNIFA