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ÉRIC JEAN-BAPTISTE : une nouvelle espérance haïtienne détruite

Les Haïtiens ont deux grands défauts qu’ils ont du mal à contrôler : la haine et la jalousie. À cause de ces deux maux, nous voici donc engagés à semer la mort et, pour citer Leslie Manigat, la haine reste la plus grande force politique chez nous. Ce sont ces deux pulsions répugnantes qui font qu’Haïti tombe toujours aux mains d’hommes incapables, insensibles aux valeurs de la République, dépourvus du sens de la responsabilité envers leur pays et les citoyens. Il n’y a pas de hasard ni de fatalité dans ce qui nous arrive aujourd’hui en tant que nation : pour devenir un homme et une femme puis citoyen, il faut des valeurs fortes et ancrées et des institutions qui les encadrent. Sans cela, nous ne pouvons assurer l’aventure du vivre ensemble en harmonie.

Avec douleur, nous devons nous résoudre à admettre qu’Haïti est un pays en déficit de vitalité. Depuis des années, on se rend compte que seule la découverte d’autres cieux peut apporter l’espoir pour la majorité d’entre nous. L’Haïtien peut réussir ailleurs mais non dans son propre pays, même avec de l’audace, du courage et de l’intelligence. On se demande pourquoi ce territoire que nous habitons, autrefois symbole de la victoire sur l’oppression et la déshumanisation, a pu devenir aujourd’hui un obstacle à la vie. La réponse est simple: un peuple est celui qui a une histoire et qui veut la poursuivre. Or chez nous, l’histoire est frappée de discontinuité, il y a donc coupure. Les crimes, les massacres en série, les violations systématiques des droits confirment qu’Haïti est entré dans une nouvelle histoire qui est celle de la déshumanisation. Ce qui est totalement contraire aux idéaux de nos pères fondateurs. « Tout moun se moun » répète-t-on dans notre créole, la langue la plus égalitaire au monde, un message à portée universelle célébrant le respect de la dignité humaine.

L’assassinat d’Eric Jean-Baptiste entre dans l’histoire de la politique haïtienne dans ce qu’elle a de pire. Il est tombé devant le mur de la jalousie et de la haine. Dans la noirceur de la nuit du 28 octobre 2022, il a baigné dans son sang pendant plus de deux heures. À bout de ses forces, dans sa détresse il attendait un secours qui ne viendra jamais. Et finalement, le temps avait suspendu définitivement son vol sous la violence aveugle de ceux qu’il défendait avec amour et passion. Des notes et cris nostalgiques aux mille voix sont venus de partout pleurer cette nouvelle grande perte. Ce n’est qu’après coup que le pays se rend compte qu’Eric Jean-Baptiste était un homme utile à la collectivité. On parle de lui en de bons termes parce qu’il n’est plus là.

Un homme de grande générosité
Eric Jean-Baptiste fut un homme de grande générosité. Beaucoup se souviennent, plus précisément les jeunes de sa fondation, d’une vie de bonté qu’il a consacrée au service de ses concitoyens. À la suite de Balcon, il peut répéter : « Dieu a pris soin de moi, à moi de prendre soin de mes frères et de la patrie ».

Les traces de cet homme ne se trouvent pas dans le champ de la politique traditionnelle haïtienne mais dans l’inventaire de ses actions humanistes qui ont fait planer un climat d’optimisme sur les perspectives du développement national.

Un bilan positif. Alors qu’il n’est pas un diplômé en droit, il a investi cent millions de gourdes (100.000.000) dans la construction de la faculté de droit de Jacmel alors que l’établissement universitaire où j’enseigne le droit constitutionnel et la méthodologie de la recherche juridique pour un salaire mensuel de dix mille (10.000,00) gourdes fonctionne avec un budget d’un million de gourdes par année. Son initiative montre que le désintérêt pour les choses de l’esprit est loin d’être général parmi les hommes de l’élite économique haïtienne, comme on le reproche souvent.

Ayant eu à critiquer notre élite du savoir et de l’avoir pour son manque de solidarité envers les masses et la jeunesse, je me demande combien de nos diplômés ont déjà fait don d’un ouvrage à la bibliothèque de l’une de nos facultés en comparaison à l’action humaniste du propriétaire du « Père Éternel Loto »? La violence du langage, les préjugés, les convoitises nous plongent de manière récurrente dans une mêlée furieuse d’assassinats face à notre impuissance à sortir Haïti de la misère chronique dans laquelle est plongée la majorité.

Ses adversaires politiques le nommaient avec dédain « marchand de borlette », histoire de le mettre au-dessous de sa valeur réelle. Avec ces propos dénués d’humanité, ils voulaient le rabaisser, nier ses mérites. La loterie comme jeu est une activité commerciale instituée par l’État et réglementée par la loi. L’imagination de l’Haitien pour faire du mal à l’autre, à détruire, ne connaît pas de limite. Toutefois, nos trois derniers présidents élus n’étaient pas plus diplômés ni plus instruits qu’Eric Jean-Baptiste. Mais chez nous, les préjugés, les mensonges, les manipulations et les machinations politiques bêtes ont la vie dure surtout quand elles sont soutenues par une presse en grande majorité mendiante et marchande. Dans une société où tout le monde n’a pas la même chance d’accéder au savoir, il est normal que les médiocres écument de haine et de jalousie contre les plus brillants.

Tout en ayant pris la tête du RDNP, il savait qu’il ne sera jamais Leslie Manigat, ce dernier que le défunt professeur Micha Gaillard considérait comme le plus civilisé parmi nous. Eric avait choisi d’apprendre et il avait vite appris dans le but d’accomplir son merveilleux destin humain, malheureusement fauché sur le premier mètre d’une marche de plusieurs kilomètres. Chez nous, à cause de la haine du bien, du beau, de la qualité et l’excellence, tout devient laideur et médiocrité, car l’Haïtien ne souhaite qu’autres que lui atteignent le sommet.

Un patriote intraitable
Eric Jean-Baptiste fut un patriote intraitable, un philanthrope, un entrepreneur moderne comme l’ont reconnu les recteurs des universités haïtiennes, entre autres, ceux de Quisqueya et l’université d’État d’Haïti. Malgré ses vertus, il n’avait pas fait l’unanimité, comme tous les grands hommes. Cela n’empêche qu’il soit une figure définitivement entrée dans notre histoire avec une bonne réputation comme chef de parti et homme politique modernisateur et modéré.

S’il a investi des millions de gourdes dans le savoir, c’est parce qu’Eric Jean-Baptiste sait que les entreprises ont une responsabilité sociale dans la collectivité dans laquelle elles opèrent. L’idée qu’une entreprise cherche à avoir une influence positive dans la collectivité où elle s’établit est liée à une démarche de participation au développement durable dans laquelle les nations s’engagent depuis quelques décennies.

L’assassinat d’Eric Jean-Baptiste plus qu’un coup politique pour déstabiliser le RDNP à l’heure du changement véritable est un acte qui vise à sacrifier un homme qui portait une nouvelle espérance haïtienne. Les éléments explicatifs de ce double meurtre (Eric et son chauffeur) doivent être recherchés dans la haine et la jalousie que se vouent les élites dominantes et dirigeantes. Jean-Baptiste n’est pas le seul cas. Que de valeurs sacrifiées tous les jours à cause du banditisme ! C’est effrayant!

En accord avec l’international, nous avons détruit l’armée nationale pour construire nos petites armées privées au service des intérêts privés de nature criminelle. Or, toutes les grandes démocraties du monde se dotent d’une force militaire pour imposer leurs visées hégémoniques et impérialistes. Donc les bandes criminelles qui, par leurs crimes odieux, choquent la conscience universelle ne sont pas tombées du ciel : elles sont la création de nos hommes et femmes politiques et d’affaires en quête de pouvoir et d’argent. Et chaque fois que la nation est à bout de souffle à cause des actes des bandits et ceux de nos gouvernants, on fait une commande de type militaire à l’international pour résoudre le problème de l’insécurité chez nous. Nos défaillances collectives enfantent des experts de « l’assistance mortelle », pour reprendre le titre du documentaire de Raoul Peck.

Comme Leslie Manigat
Nous en sommes à la troisième en moins de trois décennies, ce qui constitue une humiliante défaite totale et traduit notre déchéance en tant que nation. Je ne défends pas la politique de la communauté internationale en Haïti mais en même temps, on doit avoir le courage de pointer du doigt la responsabilité des élites locales dans cette débâcle nationale. Je ne sollicite pas non plus l’intervention militaire étrangère pour résoudre nos problèmes internes mais si nos classes dominantes n’ont pas su assumer leur rôle, il est normal que des élites plus responsables venues d’ailleurs les exécutent à leur place au nom de l’humanité. Le patriotisme haïtien est en berne à cause d’une absence de dignité constante dans la défense de l’intérêt national et de la perte de la foi en la patrie.

C’est dans cette atmosphère funeste où chaque Haïtien est un candidat potentiel à la mort que je salue la mémoire d’Éric Jean-Baptiste qui, à côté de Leslie Manigat, avait mené le bon combat pour le triomphe de la qualité et l’excellence dans notre société.

La violence est utilisée chez nous comme stratégie pour camoufler l’impuissance à changer la vie en Haïti. Eric devait mourir car ceux qui ont beaucoup de moyens n’ont rien fait et ils n’aiment pas voir les autres faire ce qu’ils n’ont pas fait, a écrit avec justesse l’éminent juriste Me Camille Leblanc. Sa mort brutale rappelle la mort programmée de Leslie Manigat par des élitesrétrogrades dans leur lutte constante contre l’intelligence. Haïti est à la fois curieuse et cruelle.

A 52 ans, ton engagement envers ton peuple n’aurait pas dû trouver cette fin atroce. De là où tu es, tu dois connaître une insatisfaction existentielle sans bornes. Un vouloir-vivre n’est pas nécessairement un pouvoir-vivre, c’est pourquoi le beau est ce qui désespère, disait Paul Valery.

Tu ne reviendras plus Eric mais tu vas prendre dignement place à côté de Leslie Manigat, celui que tu as considéré comme un modèle pour toi et pour Haïti. Je me souviens que tu avais acheté deux places dans la cave de Leslie, l’une à sa gauche, l’autre à sa droite, pour que personne autre que toi et Mirlande ne s’approche du professeur devenu, selon Dr Osner H Févry, le dieu culturel et immortel de la nation. Tu l’as fait par amour pour Leslie. Tu étais un homme de l’avoir mais tu avais tout rejeté pour embrasser Manigat au nom de l’excellence de la connaissance.

Tes bonnes actions ont montré que tu n’étais ni cupide ni vaniteux. Tu voulais transformer ta terre natale pour que tu aies accès à la terre promise, la cité de Dieu. Tu es entré dans l’histoire, Monsieur le civilisateur. Malgré tes assassins.

Dans cette débâcle, dans ce profond désespoir, mon Dieu, donne à la jeunesse la foi pour changer la vie en Haïti ! Que ma prière monte vers toi !

Eric, tu n’es pas mort, tu es bien vivant pour des milliers d’Haïtiens, en pensée et pour l’éternité : Pour ton action patriotique et ton énorme générosité. Comme ton maître à penser, tu n’as fait aucune concession sur les valeurs patriotiques aux impérialismes et aux acteurs dominants du chaos. Tu pars avec toute ta dignité originelle. Va en paix, cela marchera pour Haïti, comme tu l’as rêvé ! Sinon, il faudrait alors désespérer du pays.

Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel et de méthodologie de la recherche juridique, faculté de droit et des sciences économiques de l’ Université d’État d’Haïti

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