Plus de 262 millions de gourdes ont été encaissées illégalement par trois responsables des Centres de Réception et de Livraison des Documents d’Identité (CRLDI), selon les résultats d’une enquête menée par l’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC). Ces fonds, prélevés sur les citoyens en exigeant des frais supplémentaires pour l’obtention de passeports, ont été dépensés sans qu’aucune pièce justificative ne puisse être fournie.

Les mis en cause, entendus par l’ULCC, ont été déférés en état conformément à l’article 11 du décret du 8 septembre 2004 portant création de cette institution. Cet article confère au Directeur Général de l’ULCC le pouvoir de constater les infractions de corruption, de rassembler les preuves, de rechercher les auteurs et de les déférer directement à la justice, avec le concours, si nécessaire, de la force publique.

Cependant, à la stupéfaction générale,  William Etienne, René Jacques Laguerre et Jude Marcelin, arrêtés mardi,  ont été rapidement libérés le jeudi 8 mai 2025 par le doyen du Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, Me Bernard Saint-Vil, sans qu’aucune mesure sérieuse de détention provisoire ne soit prise. Une décision qui jette une ombre lourde sur l’intégrité de l’appareil judiciaire haïtien.

La rapidité avec laquelle Me Saint-Vil a relâché ces individus soulève des questions troublantes : pourquoi un tel empressement à libérer des suspects dans un dossier aussi grave, documenté, et d’intérêt public évident ? Pourquoi la justice semble-t-elle si prompte à protéger les puissants, pendant que les plus vulnérables croupissent en prison pour de simples délits mineurs ?

Ce n’est pas la première fois que Me Bernard Saint-Vil est pointé du doigt dans des dossiers où l’équité judiciaire est mise à mal. Son nom revient souvent dans des affaires sensibles où la justice semble avoir deux vitesses : l’une pour les élites, l’autre pour le reste de la population.

Alors que l’ULCC tente, malgré des moyens limités et un contexte institutionnel fragile, de faire respecter la loi, l’action du doyen Bernard Saint-Vil apparaît comme un coup de poignard dans le dos de la lutte contre la corruption. Ce type de décision alimente la frustration des citoyens, renforce la culture d’impunité et décourage les institutions appelées à protéger les biens publics.

En attendant, les 262 millions de gourdes disparues illustrent parfaitement le cercle vicieux de la corruption en Haïti : des fonds publics volés, une justice passive, et un peuple qui paie toujours le prix fort.