L’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) a officiellement transmis ce jeudi sept rapports à la justice haïtienne, dont un particulièrement accablant sur des cas de corruption au sein de l’Office d’Assurance Accidents du Travail, Maladie et Maternité (OFATMA). Le document met en cause l’ancien directeur général, Carl François, pour des irrégularités graves liées à la gestion de contrats de restauration de l’institution.

Selon le résumé exécutif de l’enquête menée par l’ULCC, Carl François aurait, dès son arrivée à la tête de l’OFATMA, pris unilatéralement le contrôle de la cafétéria de l’organisme public. Il aurait ensuite attribué des contrats à deux entreprises de restauration — VALCUISINE et OLEY EVENTS AND FOOD SERVICES — en dehors de tout cadre légal, sans appel d’offres régulier, ni approbation préalable des institutions compétentes, telles que la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA).

L’enquête a révélé que l’ancien DG a justifié ces attributions par un prétendu « appel d’offres restreint », une procédure normalement réservée à des cas exceptionnels, strictement encadrée par la loi sur les marchés publics. Or, aucune preuve d’un tel appel n’a été retrouvée, et plusieurs cadres de l’OFATMA auditionnés ont nié son existence.

Plus troublant encore, l’ULCC a établi un lien personnel et politique entre Carl François et Valérie Nadia Victor, co-directrice de VALCUISINE, à qui a été attribué la majorité des décaissements. Tous deux sont membres du Mouvement pour la Transformation et la Valorisation d’Haïti (MTVAyiti), structure dirigée par l’homme d’affaires Pierre Réginald Boulos. L’omission délibérée de cette information lors de leurs auditions constitue, selon l’ULCC, une tentative de dissimulation d’un intérêt illégal.

Les chiffres sont alarmants : entre octobre 2022 et février 2025, plus de 107 millions de gourdes ont été dépensés pour la restauration des employés de l’OFATMA. Sur ce montant, plus de 102 millions ont été versés à VALCUISINE, ce qui soulève de sérieuses questions quant à la transparence et à l’équité des marchés publics.

Par ailleurs, les contrats remis à la Commission comportaient des clauses illégales, notamment des renouvellements par tacite reconduction, en violation du principe d’annualité budgétaire. Des incohérences ont également été relevées entre les exemplaires détenus par différentes entités, notamment sur la durée et le coût des prestations.

Face à ces multiples irrégularités, l’ULCC demande formellement au Commissaire du gouvernement de mettre l’action publique en mouvement contre Carl François et ses complices présumés pour corruption, prise illégale d’intérêt, faux en écriture publique, et violation des lois sur les marchés publics.

Selon les conclusions de la Commission d’enquête de l’ULCC, les entreprises VALCUISINEet OLEY EVENT & FOOD SERVICES ont été créées ou favorisées dans le seul but de bénéficier illicitement de marchés publics sous l’administration de M. FRANÇOIS. L’ancien Directeur général est accusé d’avoir sciemment violé la loi sur les marchés publics, notamment en attribuant des contrats sans appel d’offres ni respect des procédures légales.

L’enquête indique également que M. FRANÇOIS a abusé de sa fonction pour accorder des avantages indus à des entreprises liées à ses proches collaborateurs politiques au sein du parti MTVAyiti. Il aurait ainsi pris un intérêt personnel illégal dans l’attribution de ces marchés, au mépris des règles de bonne gouvernance.

Par ailleurs, les enquêteurs ont mis à jour un cas de faux et usage de faux impliquant Carl FRANÇOIS, Valérie Nadia VICTOR et Valmine JEAN-JACQUES. Ensemble, ils auraient fabriqué de toutes pièces des documents administratifs, incluant un faux accusé de réception et un contrat antidaté, afin de masquer l’irrégularité de la procédure et de débloquer illégalement des fonds publics.

L’OFATMA aurait ainsi décaissé plus de 107 millions de gourdes au bénéfice des deux entreprises concernées, sans effectuer le prélèvement légal de l’acompte prévisionnel de 2 % dû à la Direction Générale des Impôts (DGI). Ce manquement aurait causé un manque à gagner estimé à plus de 2,1 millions de gourdes pour l’État.

Au terme de son rapport, l’ULCC recommande des mesures tant administratives que pénales, notamment :

-Un audit complet de la gestion de Carl FRANÇOIS par la Cour Supérieure des Comptes ;

-La résiliation immédiate des contrats signés avec VALCUISINE et OLEY EVENT & FOOD SERVICES ;

-Le recouvrement des sommes dues au fisc ;

-La restructuration de la Commission des Marchés Publics de l’OFATMA.

Sur le plan judiciaire, l’ULCC appelle à :

-L’ouverture de poursuites contre Carl FRANÇOIS pour abus de fonction, passation illégale de marchés publics et prise illégale d’intérêt ;

-Des actions pénales contre Valmine JEAN-JACQUES et Valérie Nadia VICTOR pour faux et usage de faux ;

-Le gel conservatoire des comptes bancaires des deux entreprises impliquées.