Ayiti, une République bò Katedral!

En Ayiti, les jours se suivent et se ressemblent. Sa chute vertigineuse se poursuit. Alors qu’elle s’enfonce dans une crise constitutionnelle, due plus précisément à une mésinterprétation de l’article 134-2 de la Constitution de 1987 amendée, l’heure est venue, pour chaque compatriote, d’analyser en profondeur les vrais problèmes du pays. Alors que la presse internationale ne cesse que de traiter la terre de Dessalines de tous les noms ignominieux, il convient aussi, en guise d’illumination, de poser sous trois (3) points majeurs le problème de cette « République bò Katedral ».

I-) UN ÉTAT FAILLI.-

Classiquement, les humains se seraient organisés politiquement pour pouvoir survivre face à une série de menaces, intérieures ou extérieures aux groupes formés par ceux-ci. Pour certains, c’est pour se nourrir que les humains se seraient organisés sur le plan politique. À la chasse, ils sont plus forts à plusieurs. Aux tenants de cette thèse, le philosophe Alain (Émile-Auguste CHARTIER) répond que ” ce n’est pas tant pour se nourrir que les humains se sont organisés politiquement que pour pouvoir dormir.”

En effet, rien de plus vital que le besoin de sommeil : « les uns montèrent la garde pendant que les autres dormaient ; telle fut la première esquisse de la cité », avance-t-il, de manière assez spéculative.

Par la suite, les États contemporains de l’Europe Occidentale se sont constitués en vue d’étendre leurs territoires et leur pouvoir sur les populations et territoires concernés. De là, il faut comprendre que nos aieux ont été animés d’une vision intelligente de faire d’Ayiti un Empire voire un État libre, souverain et indépendant de toute autre puissance de l’univers. À en vouloir pour preuve l’article premier de la Constitution du 20 mai 1805. Ils comprenaient fort bien le sens de la politique étrangère de l’époque.

C’est un secret ouvert pour tous que la vison intelligente et le génie de nos ancêtres se sont dévoyés malheureusement par une suite d’Hommes d’État, sauf quelques-uns. Ils ont profané le sacrifice de ceux-là. 216 ans après la Proclamation de l’Indépendance, très peu de réalisations de grande envergure! La terre de Dessalines n’est pas modernisée. Au dire de Frankétienne, ” les descendants de Dessalines, de Pétion et Christophe, au contraire de leur nature gigantesque, deviennent des nains. ”

Depuis, la patrie est prise en otage. L’espérance est menacée. L’insécurité bat son plein dans tous les coins et recoins du pays. Les cas de criminalité réelle et apparente s’offrent à nous quotidiennement. L’instabilité politique est devenue notre pain quotidien. Certes, à la surface, ” si les services de sécurité n’arrivent pas à mettre fin à la criminalité, c’est que les criminels se cachent dans les services de sécurité. ” (Donatien Mahele Lieko Bokungu surnommé le Tigre). Cependant, en profondeur, il faut se rendre à l’évidence qu’Ayiti paie le lourd tribut de son Indépendance conquise par les armes. D’où la déclaration suivante de Franklin Delano ROOSEVELT, 32e Président des États-Unis d’Amérique :

” Il faut constamment soulever les va-nu-pieds contre les gens à chaussures et mettre les gens à chaussures en état de s’entre-déchirer les uns les autres, c’est la seule façon pour nous d’avoir une prédominance continue sur ce pays de nègres qui a conquis son indépendance par les armes. Ce qui est un mauvais exemple pour les 28 millions de noirs d’Amérique. ”

Après la chute des Duvalier, l’État a perdu son autorité. L’État est kokoratisé et gangstérisé. Prenons à titre d’illustration le cas d’un sien qui reçoit un transfert de USD 1,000 d’un de ses proches des États-Unis d’Amérique pour payer une dette en dollar américain. La maison de transfert, refusant de le lui remettre en US dollars, lui donne HTG 76,000, à raison de HTG 76 pour un dollar américain suivant le taux journalier en vigueur de la BRH. Cependant, pour acheter USD 1,000 au marché informel, il a du payer HTG 96,000, soit une perte de HTG 20,000. Il rachète ses propres dollars en subissant un abus.

MESSIEURS ET DAMES LES DÉCIDEURS, OÙ EST DONC PASSÉE L’AUTORITÉ DE L’ÉTAT? NOU SANKOUTCHA TWÒP. PÈP LA PA PRAN NOU O SERYE.

II-) UNE POPULATION SANS DROITS NI DEVOIRS.-

Au regard de la Science Politique, la Société civile est considérée comme un acteur politique. Pas au sens strict. Pas au même sens que les Institutions Étatiques. D’ailleurs, elle ne dispose pas d’un mandat officiel de décision publique. Cependant, les acteurs de la société civile peuvent influencer le, la, les politiques. Ils sont concernés par elles et parfois même impliqués dans celle-ci. Par ailleurs, la reconnaissance des droits y afférents est principalement exprimée dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, la Convention Européenne des Droits de l’Homme, la Déclaration d’Indépendance des États-Unis. En effet, sont mentionnés, dans la Déclaration Universelle des droits de l’Homme, les droits et les devoirs suivants:

– le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de la personne ;

– le droit à la reconnaissance de la personne juridique ;

– le droit à une égale protection de la loi ;

– le droit à une égale protection contre toute discrimination ;

– le droit à un recours effectif devant les juridictions nationales compétentes contre les actes violant les fondamentaux qui lui sont reconnus par la Constitution ou par la Loi ;

– le droit, en pleine égalité, à ce qu’une cause soit entendue équitablement et publiquement par un Tribunal indépendant et impartial ;

– le droit de circuler librement et de choisir sa résidence ;

– le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ;

– le droit, devant la persécution, de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ;

– le droit à une nationalité ;

– le droit de se marier et de fonder une famille ;

– La famille a droit à la protection de la société et de l’État ;

– le droit à la propriété ;

– le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ;

– le droit à la liberté d’opinion et d’expression ;

– le droit à la liberté de réunion et d’association pacifique ;

– le droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ;

– le droit d’accéder, dans des conditions d’égalité, aux fonctions publiques de son pays ;

– le droit à la sécurité sociale ;

– le droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ;

– le droit à une rémunération équitable et satisfaisante ;

– le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts ;

– le droit au repos et aux loisirs et notamment à une limitation raisonnable de la durée du travail et à des congés payés périodiques ;

– le droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ;

– le droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ;

– Le droit, pour la maternité et pour l’enfance, à une aide et à une assistance spéciales ;

– le droit à l’éducation ;

– le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent ;

– le droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur ;

– les devoirs envers la communauté dans laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité est possible.

Une simple et unique question nous vient à l’esprit, après l’énumération de tous les droits ci-dessus mentionnés : ” SOMMES-NOUS DES HUMAINS? NOU MENM AYISYEN, KIT SE PITIT DESALIN, PETION OUBYEN KRISTÒF, ESKE NOU SE MOUN? ”

Que toute la population Ayitienne se mette ensemble pour réclamer, sur toute l’étendue du territoire, un État Social actif en sus du maintien de l’ordre et de redistribution des ressources collectives sous forme de projet de grande envergure!

Que toute la population Ayitienne se mette debout pour réclamer le droit à la reconnaissance et à la jouissance de tous les droits ci-dessus mentionnés! Autrement, nous resterons des inhumains ou des sous-hommes.

D’ailleurs, l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 stipule clairement que: ” Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée , ni la Séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. ” En d’autres termes, la garantie des Droits de l’Homme et la Séparation des Pouvoirs priment la Constitution.

Pour conclure, Dr. François DUVALIER, alors Secrétaire d’État du Travail, fit une présentation sur l’Avenir d’une Politique de Protection du Travailleur Ayitien et la création d’un Institut d’Assurances Sociales. Il débuta sa présentation en reprenant la pensée suivante du Dr. Salvador Guillermo Allende Gossens, Président socialiste du Chili, Médecin spécialiste de la médecine préventive:

” Pour toutes les nations, toutes les possibilités de grandeur doivent avoir pour base une population forte, cultivée et saine. La défense nationale repose essentiellement sur le bon état biologique des habitants. On peut contribuer efficacement à la défense du continent en assurant la salubrité des villes, en développant les laboratoires chimiques et pharmaceutiques et en dotant le pays de sanatoriums, d’hôpitaux, de stations de repos et autres éléments essentiels pour assurer la protection biologique. ”
(Voir Page 46, Quand Gérard GOURGUE parle de Clément JUMELLE, Daniel SUPPLICE.)

III-) UNE ÉLITE SANS MISSION D’ÉCLAIREUSE.-

La Constitution d’Ayiti du 20 mai 1805, par le biais de ses articles 7& 8, a clairement mentionné l’appellation suivante: ” qualité de citoyen d’Ayiti”. En outre, l’article 9 stipule que: ” Nul n’est digne d’être Ayitien, s’il n’est bon père, bon fils, bon époux, et surtout bon soldat. ” Les signataires de ladite Constitution, en construisant l’Empire, y ont jeté les bases de la dignité, de la fierté, d’une haute estime et d’une haute moralité. Ils officiaient en tant qu’organe de discipline et de direction à cette liberté fraichement conquise contre les forces d’oppression et d’abêtissement. Ils étaient l’élite. L’élite d’hier était non seulement un produit du terroir et en parfaite concordance avec le milieu. Elle fut dans le passé le terme d’un long processus de souffrances accumulées. Ainsi le Dr. Jean Price MARS, dans son livre intitulé La Vocation de l’Élite, l’a définie comme une création lente et laborieuse du génie de la race qui rapporta des patries lointaines sur la terre d’exil, les obscures possibilités d’une réhabilitation ethnique. Mais alors, par quel phénomène étrange et déconcertant en est-il advenu que ce qui fut la norme autrefois, n’est plus maintenant qu’un souvenir que chaque jour émaille de nos plus mélancoliques regrets? Comment peut-on expliquer la distance qui sépare l’élite actuelle de la foule (la base), de telle façon qu’il ressort aux yeux les moins avertis que la nation semble se partager en des fractions distinctes, comme des compartiments étanches ? Comment expliquer que le pays en soit arrivé à une telle division sociale que son élite semble être un organisme étranger, superposé au reste de la nation et vivant par rapport au peuple dans un état équivoque de parasitisme ? (La Vocation de l’Élite).

L’élite intellectuelle, politique, morale et économique actuelle faillit à sa mission d’éclairer et de conduire le peuple dans la dignité de l’esprit. Aux yeux de la foule, elle parait comme une clique, participant à toutes sortes de combines, qui enfonce de plus en plus le pays dans le trou de la misère, de l’indigence et du sous-développement. Le prestige du savoir et de la technologie tarde à s’exercer sur la société. En d’autres termes, si l’éducation est une tentative de modeler l’homme selon un idéal déterminé, quel est l’apport de la classe possédante rien que dans la construction des écoles publiques, professionnelles ou des universités, espaces d’apprentissage du savoir? Faute de moyens, les écoles Ayitiennes ne sont pas recyclées. Elles sont adeptes du nivellement par le bas et du piège de la facilité intellectuelle. Leur pédagogie est démodée. Elle ne tient pas compte du tempérament du peuple. Hélas! une grande quantité de gens scolarisés, mais sans lumière! En ce XXIe siècle, beaucoup d’écoles ne dispensent même pas à leurs élèves un cours d’Informatique de base. L’école d’aujourd’hui ne pourra pas engendrer une génération d’hommes et de femmes aptes à tenir haut et fier le flambeau de notre passé héroïque. L’école Ayitienne doit former, non pas seulement des personnes instruites, mais des hommes et des femmes de caractère. Elle doit être aussi le lieu d’apprentissage de l’éthique et de l’esthétique. Avec regret, de telles préoccupations n’ont jamais effleuré l’esprit de nos Hommes d’État voire la classe des affaires. La seule obsession de la plupart de cette classe dite bourgeoise: l’appât du gain sordide et démesuré au détriment de la patrie et de la classe travailleuse!

L’élite politique projette une image d’une classe divisée, fragmentée et retournée contre elle-même. Il lui est donc impossible de poser une action inspirant confiance à la majorité de la population. Elle manque à sa vocation de commandement et à son combat politique. Enfin, elle s’est rendue indigne de sa mission de leadership. Par conséquent, l’élite politique d’aujourd’hui n’a jamais atteint le génie d’action d’un Toussaint Louverture. Elle ne s’est jamais élevée à la hauteur de Pierre le Grand pour faire moderniser le pays, et pour en faire une perle et une nouvelle manière humaine. Assez de divergences d’intérêts! Marchons d’un même pas, d’un même projet de société, d’une même vue, d’une même foi! Ayiti en a assez du tohu-bohu de vos aberrations!

En plus de constituer un contre-pouvoir et d’incarner la possibilité d’une alternance politique, l’opposition doit aussi se pronconcer énergiquement et d’agir contre la corruption, contre l’inefficacité de l’État, contre le chômage, contre le clientélisme et contre la contrebande. Son regard ne doit pas seulement se porter sur la prise du pouvoir.

L’Église doit jouer un rôle majeur dans le développement de la société ayitienne. Certaines assemblées dites chrétiennes tiennent parfois un discours antibiblique de résignation. Certaines d’autres se leurrent en s’abstenant de toutes activités politiques. Même du vote. En tant que dépositaire de l’Évangile de Christ, pour répéter encore le Dr. Jean Price MARS, ” si dans la crise actuelle, on veut demander à l’Église de jouer un rôle, c’est qu’elle se montre nationale en faisant de la cause haïtienne sa propre cause et des souffrances haïtiennes ses propres souffrances… Que son influence ne soit point néfaste ni regrettable sur la chose ayitienne! ”

Le rôle actuel de l’élite c’est de contribuer à la création d’une pensée nationale, expressive et digne de nos sentiments, de nos qualités et de nos défauts.

La Constitution de 1987 amendée prévoit en ses articles 190 bis, 190 bis 1, 190 ter, 190 ter 1 jusqu’à 190 ter 10 la création du Conseil Constitutionnel chargé d’assurer la constitutionnalité des lois avant leur promulgation, de juger de la constitutionnalité de la loi des règlements et des actes administratifs du Pouvoir Exécutif, de veiller et de statuer les arrêtés et sur la constitutioannalité des règlements intérieurs et de la Chambre des Députés avant leur mise en application.

L’article 190bis 1 stipule que: ” Le Conseil Constitutionnel est composé de neuf (9) membres, dont trois (3) sont désignés par le Pouvoir Exécutif, trois (3) par l’Assemblée Nationale à la majorité des deux tiers (2/3) des membres de chacune des deux chambres, trois (3) par le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire.”

Le Conseil Constitutionnel comprend :

Trois magistrats ayant une expérience de dix (10) ans au moins, dont un (1) est désigné par le Pouvoir Exécutif, un (1) par l’Assemblée Nationale à la majorité des deux tiers (2/3) des membres de chacune des deux chambres, un (1) par le Conseil Supérieur du Pouvoir; Trois juristes de haut niveau, professeurs ou avocats ayant une expérience de dix (10) ans au moins, dont un (1) est désigné par le Pouvoir Exécutif, un (1) par l’Assemblée Nationale à la majorité des deux tiers (2/3) des membres de chacune des deux chambres, un (1) par le Conseil Supérieur du Pouvoir; Trois personnalités de grande réputation professionnelle ayant une expérience de dix (10) ans au moins, dont un (1) est désigné par le Pouvoir Exécutif, un (1) par l’Assemblée Nationale à la majorité des deux tiers (2/3) des membres de chacune des deux chambres, un (1) par le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire.

À quelle instance Étatique revient la faute d’avoir omis de désigner ses membres? La crise actuelle nous serait épargnée.

Cender SIRISMÉ, citoyen engagé