Dans l’univers de la création de contenu, qu’il s’agisse de radio, de podcasts ou de médias en ligne, une injustice subtile mais persistante mine le respect du travail intellectuel : l’absence de crédit accordé aux idées. Si le plagiat textuel, celui qui consiste à copier mot pour mot, est largement dénoncé, il existe une forme plus insidieuse de plagiat : celle qui s’approprie une pensée, une analyse ou une perspective originale sans jamais en reconnaître la source, même en la reformulant.

Ce phénomène est particulièrement visible dans les débats publics. Un animateur de radio, souvent engagé et incisif, peut décortiquer un sujet avec une clarté nouvelle. Quelques jours plus tard, ses idées réapparaissent ailleurs : même angle d’analyse, comparaisons similaires, expressions à peine modifiées — cette fois dans la bouche d’un influenceur, d’un chroniqueur ou au sein d’un média plus grand public. Et tout cela, sans la moindre mention de l’origine de ces réflexions.

On dira parfois qu’il s’agit d’idées partagées, de sentiments collectifs ou d’un simple écho de l’époque. Mais il y a une différence nette entre capter l’air du temps et reprendre une construction intellectuelle soigneusement élaborée par quelqu’un d’autre.

Reformuler ne suffit pas à effacer la trace de l’inspiration. Certains pensent que la paraphrase les libère de l’obligation de citer. Pourtant, l’honnêteté intellectuelle ne se limite pas à éviter le copier-coller. Elle exige la reconnaissance du travail de pensée. Dire, par exemple, « comme l’expliquait récemment tel animateur » ou « inspiré par une chronique de… », ce n’est pas s’amoindrir : c’est reconnaître le chemin collectif de la création.

Ce manque de crédit n’est pas qu’un détail. Il pose d’abord une question d’éthique. Mais il a aussi des conséquences concrètes : ce sont souvent les voix les plus indépendantes — militants, animateurs locaux, penseurs marginaux — qui se voient dépouillées de leurs idées. Ces idées nourrissent le débat public sans rien leur rapporter en retour : ni reconnaissance, ni audience, ni opportunités.

Il y a également un enjeu de pouvoir symbolique. Lorsque des figures médiatiques plus établies reprennent des réflexions issues des marges sans nommer leurs auteurs, elles les rendent « acceptables » pour le grand public tout en effaçant ceux qui en sont à l’origine. Le message passe, mais la mémoire de son origine s’efface.

Il est temps de développer une véritable culture du crédit. Comme dans la musique, où les samples sont mentionnés, ou dans la recherche, où les sources sont citées, nous devons apprendre à dire d’où viennent nos idées. Même en paraphrasant, même en adaptant, nous devons rendre visibles celles et ceux qui nous inspirent. C’est ainsi qu’on élève le niveau du débat, qu’on rend justice aux penseurs et qu’on construit un espace culturel plus sain.

Aux créateurs des médias haïtiens, en Haïti comme dans la diaspora : notre richesse intellectuelle est immense, nourrie par nos luttes, nos espoirs et notre rapport unique au monde. Cette richesse mérite d’être protégée. Nommer nos sources, ce n’est pas diviser, c’est renforcer notre mémoire collective. Soyons des passeurs d’idées, pas des voleurs silencieux. Le respect entre créateurs est la première pierre d’une souveraineté culturelle durable.