À l’occasion du 8 mars, Journée internationale de la Femme, Me Sonet Saint-Louis aborde la question du féminisme à la lumière de l’histoire d’Haïti et du droit. Pour lui, le féminisme global est un projet nègre, totalement haïtien qui est né le 18 novembre 1803, à Vertières. Dans cette présentation le juriste met en garde les féministes haïtiens contre le danger de l’acculturation et les invite à se reconnecter avec l’histoire comme source d’inspiration pour engager la bataille présente et future d’Haïti.
Depuis le jour où j’ai commencé à prendre connaissance des questions féministes dans le cadre de mes études doctorales en droit, je me suis interrogé sur la dimension historique du féminisme haïtien, ses rapports avec la politique et le droit.
Dans la littérature juridique haïtienne, ces questions ont été abordées de manière très marginale. Le droit est seulement utilisé dans le cadre de la lutte pour revendiquer l’égalité des privilèges, la parité et l’équité dans la répartition des postes dans la sphère administrative et politique. Sur ce point, le féminisme haïtien donne le visage d’un féminisme de pouvoir.
En dehors de ces préoccupations, la question est de découvrir ce que le féminisme haïtien a dire au monde. Quel est son apport au féminisme universel ? Quelle est son essence, son identité ? Quel message les féministes haïtiens ont à apporter dans un congrès mondial ?
L’un des enjeux du féminisme haïtien est de transposer des préoccupations, des valeurs et des conclusions éprouvées dans les pays occidentaux dans le contexte historique d’Haïti. Cette inquiétude légitime m’amène à questionner l’histoire pour en dégager sa spécificité par rapport à une tendance qui vise à l’universalisation et la globalisation d’un certain courant féministe dominant d’essence occidentale. L’absence d’une épistémologie, d’une perspective féministe haïtienne conduit à son acculturation sinon à sa domination qui lui fait perdre son essence et son identité.
Ma démarche consiste d’abord à porter une attention particulière à l’histoire et au contexte de l’apparition du féminisme haïtien, entre droit et politique.
Précisons tout de suite que le féminisme haïtien est un combat politique pour la libération des opprimés et le triomphe des droits de l’homme. Parlant de combat, c’est mettre sur la table de l’histoire, la lutte des femmes haïtiennes pour le triomphe des droits de l’homme en Haïti d’abord d’abord et à travers le monde ensuite.
Cette dimension historique de leur lutte pour la liberté et l’égalité a été pendant longtemps occultée, du moins insuffisamment racontée. De cette sorte de faute originelle inscrite dans notre histoire, nous souhaitons que nos organisations féministes haïtiennes, dans leur manière de se comporter sur le terrain politique, planeront au-dessus de cet oubli mesquin pour replacer la lutte des femmes haïtiennes dans sa dimension historique, humaine et universelle.
Le féminisme haïtien n’a pas acquis seulement son droit de cité sur le terrain des conflits guerriers, mais aussi sur le terrain des droits. Dans sa vision émancipatrice, il ne fait pas de différence entre les opprimés, entre l’homme et la femme. Il s’intéresse à la personne humaine dans toutes ses dimensions. Il promet la vie aussi bien aux femmes qu’aux hommes du monde entier. Il se bat partout où la vie est menacée, où les droits sont en danger. “Tout moun se moun”.
C’est à Vertières, le 18 novembre 1803, que ce féminisme s’est exprimé pour la première fois. C’était lors d’un face à face historique entre deux visions du monde : celle de l’oppresseur et de l’opprimé. La confrontation armée entre deux projets : celui d’un monde d’oppression et celui d’un monde dominé par des droits, en tant que finalité de l’histoire. Dans cette perspective, Vertières, point de départ du féminisme haïtien, n’est pas seulement une douleur humaine qui avait engendré des pertes en vies humaines sur le terrain du conflit guerrier. Cette bataille est aussi un symbole de résistance contre l’oppression, la tyrannie, la domination impérialiste et l’injustice. Vertières est la face guerrière du féminisme haïtien, la naissance d’un projet nègre fondé sur une humanité pour tous.
Des faits historiques qui se sont déroulés entre 1789 et 1803 nous appellent à revisiter l’histoire parce qu’ils n’ont jamais été pris en considération dans nos livres d’histoire et dans ceux de l’ancienne puissance coloniale que fut la France. Cette autre lecture embrasse des événements judiciaires ayant lieu dans la colonie française sur lesquels nos historiens se sont peu attardés et qui pourtant se révèlent importants dans le cadre d’une analyse de l’origine du rôle des femmes dans le processus de libération.
Un épisode judiciaire décisif
Cette conjonction entre droit et histoire nous amène à un épisode judiciaire qui s’est passé en 1790 au Cap-Haïtien, en pleine période révolutionnaire. Cette histoire a été reportée par le professeur Wesner Emmanuel dans son manuel d’histoire destiné aux élèves en classes terminales. Il s’agit d’une négresse qui s’était rendue à la ville du Cap-Haïtien pour porter plainte contre un colon qu’elle soupçonnait d’être à l’origine des coups et blessures graves infligés à son mari.
À l’audience publique, cette femme, analphabète de son état, mais naturellement intelligente, fut tellement convaincante que le juge blanc dut retenir sa plainte. Ce jour-là, l’opprimée avait la parole. Elle foulait au pied le droit officiel, étatique, le code colonial et revendiquait désormais son droit à l’humanité, frayant un chemin qui amena le juge colonial, blanc, fonctionnaire de la métropole française, vers la vérité, l’équité et la justice.
Devant la détermination de cette jeune esclave noire, le tribunal avait finalement décidé d’entendre le colon. Et, au cours d’une confrontation, d’un face à face historique, ce dernier évoqua le Code noir qui l’autorisait à disposer de sa chose, son bien meuble, comme il le voulait. Le tribunal avait jugé que la plainte de l’esclave était fondée. La thèse de la négresse avait triomphé et une certaine forme de justice lui avait été rendue. L’oppresseur avait perdu la cause qu’il était certain de gagner parce que le droit officiel était de son côté. Mais ce jour-là, il avait compris quelque chose d’important : la détermination de cette femme était supérieure à la force de l’oppression du système dominant.
Cette femme avait eu gain de cause parce qu’elle avait refusé de faire l’histoire des autres, celle qui était toute programmée en fonction de la logique de l’oppresseur. Elle a décidé de faire valoir sa propre histoire, celle qu’elle voulait pour elle-même, pour ses semblables et pour son futur pays qui allait être Haïti, la première république noire indépendante du monde.
Du point de vue de l’histoire et l’histoire des droits de l’homme, ce fait majeur est significatif. Ce jugement rendu par le juge colonial dans ce conflit qui mettait face à face le maître et son esclave, n’appartient pas à Haïti, ni à la France. Ce jugement doit être déposé dans les archives de l’humanité.
Mais le nom de cette femme n’a pas été révélé jusqu’ici par aucune source de la métropole française. Il n’est pas étonnant que la mémoire de cette négresse et l’histoire de cette affaire judiciaire soient totalement bannies de la mémoire des hommes et des femmes.
Déposés sans doute dans les archives de la colonie, ces documents secrets et officiels de la République Française devraient être restitués à l’humanité par la France. On est lâche, quand on renie son passé.
La France est placée devant ses responsabilités. Aujourd’hui, elle doit se démarquer de cette histoire douloureuse. Car, le passé a été tout simplement ce qui était humainement possible à un moment de la durée. Mais le passé ne nous condamne pas à l’isolement, ni nous saurait nous enfermer dans la haine éternelle de l’oppresseur, sinon qu’il nous invite à refaire l’avenir avec beaucoup plus d’espoir.
La justice n’est pas toujours dans les codes
Cette affaire démontre sans équivoque que la justice n’est pas toujours dans les codes. La fabrication du droit est souvent un processus hautement manipulé et confisqué par les groupes d’intérêt qui ont souvent le contrôle sur tout.
Quant à la justice, elle se trouve, elle, dans l’équité. L’équité n’est pas l’égalité. L’égalité vise à réduire l’inégalité parmi les hommes alors que l’équité est le principe visant à corriger les injustices parmi les hommes. Parfois, il faut dire non à la loi et à un système injuste quand l’intérêt humain est menacé.
Par cette action pleine de bon sens de porter l’affaire par devant le tribunal colonial, cette négresse avait démontré qu’elle ne voulait pas se faire complice de la violence du colon et du système dominant. Cette décision du tribunal nous montre que la justice n’est pas toujours dans les lois et la procédure, ni dans le système judiciaire, encore moins dans le comportement des juges, mais dans la détermination de la victime qui cherche à faire réparer un droit et corriger une injustice au nom du principe de l’équité. Par cette action devant le tribunal colonial, cette négresse haïtienne, en pleine globalisation de l’esclavage, avait déconstruit le droit officiel de la métropole française auquel elle n’était pas liée. Elle avait montré qu’avant tout autre courant épistémologique, le droit n’est pas une activité neutre : il existe toujours des forces souterraines et visibles qui déterminent le jeu de son élaboration et de son application. Mais le droit peut devenir l’expression de la volonté générale si le peuple décide de s’en approprier.
En effet, la façon dont cette esclave était allée chercher la justice et revendiquer son droit à l’égalité, était révélatrice de ce qu’allait être la finalité de l’histoire : les droits de l’homme. Il suffit de jeter un regard sur notre siècle et les mouvements qui se font en matière des droits – que ce soit au niveau régional, continental ou universel – pour s’en convaincre.
Une source d’inspiration
À l’opposé de la violence du colon et du système dominant, cette esclave noire avait agi dans l’histoire comme une égérie, une pionnière, une référence. Une source d’inspiration pour les peuples. Elle a montré par sa détermination à résister contre l’inacceptable. Les forces des idées de liberté et de droits de l’homme peuvent éclairer même les consciences les plus endormies.
Aujourd’hui, malgré certaines déceptions, et même parfois certains reculs, on constate partout des avancées en matière des droits. De Port-au-Prince, à Alaska, de New-York ou à Pékin, jusqu’à la terre de feu, le monde est aujourd’hui en chantier des droits.
Les droits de la personne humaine sont partout constitutionnalisés et judiciarisés. Partout, des femmes et des hommes se mettent en mouvement pour changer les régimes d’oppression en des systèmes plus justes et plus équitables.
L’histoire n’est pas neutre, et plus spécifiquement dans cette affaire. Elle a été racontée par les mâles, donc forcément de manière sélective. Elle est passée aussi dans l’oubli partagé, parce notre mesquinerie quotidienne, nos luttes intestines et nos divisions séculaires tendent à occulter un événement majeur, fondateur d’un projet politique global, émancipateur : le féminisme haïtien. L’exigence de vérité scientifique commande une autre lecture de l’histoire. Une réécriture de cette page d’histoire au nom de la vérité, s’impose dans l’actualité comme une nécessité contraignante.
Car, la liberté et l’égalité reconnues aux femmes haïtiennes ne sont pas un cadeau de l’homme haïtien, encore moins de l’Occident dominateur. Ce n’est pas une égalité donnée mais construite historiquement parce qu’acquise par elles sur le terrain des conflits guerriers.
Les femmes haïtiennes n’avaient pas attendu que les hommes noirs haïtiens et le monde occidental leur apportent leur liberté. Elles étaient allées chercher leur propre libération, leur liberté et revendiquer leur droit à l’égalité, non seulement sur terrain des droits de l’homme, mais sur les champs de bataille, sur le terrain des conflits guerriers, à Vertières.
Il existe plusieurs féminismes
Le contexte de l’apparition du féminisme haïtien fait de celui-ci un projet politique à part avec une spécificité propre. En ce sens, il est différent des féminismes américain, canadien et français, qui ont gagné leur droit à l’égalité sur le terrain juridique. Ce sont deux itinéraires, deux trajectoires différents qu’il ne faut pas confondre.
La présence des femmes noires haïtiennes à côté des hommes noirs haïtiens sur les champs des conflits guerriers pour contrer la violence et l’oppression de l’armée française, était la preuve que les notions “homme et femme” n’existaient pas et qu’il fallait déconstruire la domination masculine fondée sur la force et la virilité. Cette distinction provient de la langue française est tout à fait banale et discriminatoire. “Tout moun se moun”, comme on dit dans notre langue créole, “la langue la plus égalitaire au monde”. (Mirlande Manigat) “Soyons nous-mêmes autant que possible,” (Price Mars) et restons dans “notre égalité linguistique et historique”.
C’est là enfin que réside toute la spécificité du cas haïtien, dans le contexte de l’apparition du féminisme haïtien. Cet événement fondateur d’Haïti en tant qu’État-nation ne peut et ne doit pas être occulté. Dès lors, le féminisme en tant projet politique universel est un projet nègre, un projet intégralement haïtien.
De ce point de vue-là, il nous semble qu’il n’y a pas de coupure entre l’histoire d’Haïti et le mouvement féministe haïtien : il y a continuité. On est en présence d’une multiplicité de féminismes : l’un émanant de l’occidental, un autre du tiers-monde, sans oublier les féminismes canadien, québécois, américain, haïtien. Il existe aussi plusieurs courants féministes : égalitaire, chrétien, socialiste, radical confinant au lesbianisme. Enfin, il y a un féminisme urbain et un féminisme paysan. D’où l’importance de de la question suivante : en Haïti, qui parle pour qui, qui représente qui ?
Quel est le projet du féminisme haïtien dans le contexte actuel dans ses différents courants ? Quelle devrait être sa position dans la crise actuelle face au danger du retour à la dictature qui nous guette ?
La tache est néanmoins difficile. Un travail de décantation et de démarcation est nécessaire, afin de pouvoir situer et analyser chacun de ces courants au point de vue épistémologique, c’est-à-dire de l’apport de chacun à la connaissance, à la problématique de la femme, à la question de genre et à la connaissance en général. Ce dépistage épistémologique est d’autant plus important qu’on se trouve aujourd’hui dans un environnement pollué par une multitude d’organisations où l’on ne sait pas quelles idées elles défendent. On est dans une sorte de populisme organisationnel où l’on a du mal à identifier et à savoir qui parle pour qui.
Cependant, une telle prolifération d’organisations dans cet espace de lutte perpétuelle pour le triomphe des droits des femmes haïtiennes, ne nous autorise pas à cracher sur la mémoire de certaines femmes et le travail de beaucoup de féministes et citoyennes haïtiennes dans un environnement difficile marqué par un contexte de pauvreté et d’ignorance dans lequel vit la majorité de nos compatriotes.
Une affaire d’État
Le problème de la femme fait partie du contexte global et général du pays. Le problème du pays est d’abord d’ordre matériel : pauvreté, misère. La faim tenaille la majorité des citoyens, femmes et hommes, garçons et filles. Les inégalités structurelles et les injustices sociales ne sont plus à démontrer.
Ces problèmes globaux ne peuvent être abordés et véritablement résolus qu’à travers l’élaboration et l’implémentation des politiques publiques transversales qui tiendront véritablement compte des besoins des femmes, des filles et des autres catégories sociales les plus vulnérables de notre société. La problématique des femmes et la question de genre doivent être avant tout une affaire de l’État.
Une telle question ne doit pas être laissée à la seule volonté des groupes de femmes. Cependant dans cette dynamique, les organisations féministes ne doivent pas être ignorées. Elles ont un rôle fondamental à jouer en tant qu’entités engagées de la société civile devant initier le dialogue entre les citoyens et les pouvoirs publics, servir de relais et intermédiaires entre les citoyens et l’État. Toute politique en faveur du bien-être des femmes haïtiennes, devra d’abord viser à réformer les lois désuètes, appliquer celles qui sont conformes aux besoins des femmes et élaborer de nouvelles politiques afin de pouvoir répondre aux situations actuelles. Mais les lois, aussi bien fabriquées qu’elles puissent être, n’ont pas de réalités objectives et matérielles en elles-mêmes si elles ne s’accompagnent pas de grandes réformes, politiques, économiques et sociales pour leur mise en œuvre.
La question de genre doit être prise dans ses dimensions polyvalentes et plurielles, c’est-à-dire à travers la politique – donc les pouvoirs publics – pour poser les problèmes et un cadre d’engagement institutionnel pour les résoudre. Car, les problèmes politiques sont les problèmes de tout le monde, et les problèmes de tout le monde sont des problèmes politiques. Donc, la politique est “le primat”. Le problème des femmes est d’abord un problème politique qu’il faut résoudre par la politique. Sur le terrain politique.
Par-delà la perversion, les divisions des différents secteurs, les controverses, les critiques, et les manquements en terme de réflexions stratégiques, intellectuelles et d’actions, le féminisme haïtien dans sa version anti-esclavagiste, anti-coloniale et anti-ségrégationniste, devra rester dans l’actualité comme un projet politique face à la mondialisation occidentale, néolibérale, destructrice des libertés et des droits fondamentaux de l’homme. Il est un combat pour l’émancipation des peuples contre les nouvelles formes de colonisation et de domination.
Le féminisme haïtien doit rester contestataire
Le féminisme haïtien devra rester sur le terrain de la contestation politique au niveau local et global, à chaque fois que l’ordre hégémonique planétaire menace les libertés chez nous et les conquêtes historiques des peuples. Ce féminisme n’est pas comme les autres. Il est un projet politique avant-gardiste, qui a lancé dans l’histoire du monde un signal fort à Vertières et qui a jeté les bases des actions visant à créer les conditions de réalisation de la liberté et de l’égalité dans le monde. Aujourd’hui encore, contre cette dictature naissante qui remet en question nos droits conquis et acquis, le féminisme haïtien doit être debout.
En tant que féministe intégral et intellectuel public, je rêve que les femmes de mon pays accèdent à l’égalité, cette égalité fondée sur le droit, compte tenu de leur contribution à l’histoire universelle mais aussi de leur travail et de leur mérite. Et c’est ensemble, main dans la main, que femmes et hommes, Haïtiens et Haïtiennes doivent écrire ce nouveau chapitre de l’histoire, à partir d’une vraie critique de l’histoire officielle déformée et déformante, dans l’égalité des sexes, donc sans sexisme.
Sur cette base, il est incompréhensible que, dans le cadre de cette remobilisation de l’armée haïtienne, cette contribution des femmes noires haïtiennes à l’histoire universelle ait été une fois de plus occultée. La méconnaissance de l’histoire d’Haïti est un obstacle à la gestion de la République et à la connaissance tout court. L’armée de Vertières était une armée plurielle composée d’hommes et de femmes, donc un corps égalitaire, fondé sur l’égalité des sexes, en route vers le soleil de la liberté.
Il est donc normal que désormais les prochaines batailles soient engagées ensemble, coude à coude et dans l’unité des forces progressistes d’Haïti et celles du monde, pour empêcher un retour en Haïti de régimes autoritaires et dictatoriaux qui pourraient mettre en péril les droits fondamentaux de la personne.
Dès lors, le message de Vertières est clair : il n’y a ni homme ni femme, ni noir ni blanc, l’universalité des droits et de la fraternité n’admettant pas de barrières.
Le 18 novembre 2017, par une décision politique de l’ancien Président Jovenel Moïse, Haïti renouait avec son armée. Une décision qui aurait pu être applaudie, si elle avait été le fruit d’une bonne réflexion ou si elle était guidée par le sérieux et le patriotisme.
Pour un pays qui a conquis son indépendance par les armes, on ne peut pas dire non à l’armée parce qu’on est de gauche. C’est une erreur. Les grandes démocraties du monde ou les puissances de l’heure se dotent, toutes, de forces armées. L’armée haïtienne avait été démobilisée pour son intrusion malsaine dans la vie politique du pays en interrompant brutalement des expériences démocratiques des gouvernements civils mais aussi sous l’influence externe, malheureusement à un moment où elle avait besoin d’une autre orientation, d’une autre éducation, dans un contexte dominé par la démocratie, l’État de droit et les droits de l’homme.
Sur le terrain de la contestation politique, le féminisme haïtien dans sa version originelle avait fait un travail de déconstruction du droit, notamment du droit étatique, du positivisme juridique et de l’histoire quant à leur prétendue neutralité axiologique.
Dans sa version égalitaire et sur le terrain du droit, le féminisme haïtien appelle à une autre lecture du droit, à une autre écriture du droit et à un autre langage du droit. Ceci suppose aussi une redéfinition des rapports sociaux et politiques.
L e féminisme haïtien est à réécrire
Les quelques réflexions qui précèdent se voulaient être une mise en garde contre le danger de l’acculturation du féminisme haïtien en y intégrant certaines valeurs qui sont en contradiction avec son essence. Car, le féminisme haïtien est peut-être un champ d’étude ou d’analyse mais en tant que porteur d’idéologie, il peut se donner une cohérence dans l’avenir. Mais avant tout, le féminisme a besoin de se repenser, non pas à travers d’interminables luttes entre petits groupes de féministes, mais en se reconnectant avec l’histoire, son histoire singulière qui l’a conduit à une totalité globale, planétaire, unique, faite de collectivités humaines multiples et d’envergure diverses.
Sur ce point, le féminisme haïtien n’est pas seulement un projet politique à caractère émancipatoire mais il s’impose aussi comme une théorie scientifique. Aussi serait-il temps de revenir à l’histoire non seulement comme source d’inspiration afin d’engager les combats présents et à venir mais aussi de se charger de corriger les erreurs du passé afin d’empêcher la mort et l’effacement de tout un peuple.
Le féminisme haïtien est à réécrire dans une perspective à la fois locale et globale qui, dans sa naissance, mettait à nu une réalité, celle de la violence d’un monde terrifiant, déchu, façonné par l’homme occidental. Sa vision humaniste lie tous les peuples pour en faire une communauté de destins qui n’admettent pas de barrières érigées par l’humain. Ce projet politique dont ce féminisme est porteur parle au nom de tout. Sa force, c’est la reconnaissance de tous, l’égale dignité de la personne humaine, le lieu où des destins singuliers se rencontrent, se croissent et se modifient à l’intérieur d’un destin global. Le féminisme haïtien c’est la liberté et l’égalité englobées où l’homme et la femme sont à la fois le producteur et le produit.
L’armée de Vertières reste un symbole de résistance pour les féministes haïtiennes. A Vertières, les négresses haïtiennes avaient fait tomber le masque de la domination masculine fondée par l’homme blanc occidental sur la force et la virilité masculine. Un féminisme guerrier naquit, revendiquant une humanité universelle. Ainsi mit-il fin au mythe occidental de la supériorité de l’homme, basée sur la force physique du mâle. Une déconstruction de la pensée dominante occidentale commande une redéfinition des rapports économiques, politiques et sociaux à l’échelle mondiale et une relecture de l’histoire même.
Dans l’obscurité de l’oppression, de la domination, de la tyrannie et de l’injustice, prenons la direction de Vertières et poursuivons le chemin menant au soleil !
Me Sonet Saint Louis av.
Doctorant en droit UQAM
Professeur de droit constitutionnel
Université d’État d’Haïti