Le calvaire des travailleuses du sexe dans la capitale haïtienne

L’inadéquation de l’offre et la demande, manque à gagner, l’agression, la maltraitance…le calvaire des travailleuses du sexe dans la capitale. Trois prostitués racontent leurs misères au Journal « La Transparans.net».

La vie nocturne est en perte de vitesse depuis un certain temps particulièrement dans la capitale. L’avènement du coronavirus et les lots de mesures imposées par les autorités «sanitaires» du pays compliquent davantage la situation des noctambules. L’insécurité et leurs faibles revenus y sont  pour beaucoup.

Cette triste réalité frappe beaucoup de secteurs. Le commerce informel se fait au ralenti par peur ou par manque de client. Les boîtes de nuit sont très souvent  à moitié vides même si l’ambiance est au rendez-vous. Mais, les trottoirs ne sont jamais vides. Les belles de nuit sont toujours là, et ce, en quantité suffisante, malgré la situation délicate que traverse le pays sur le plan sécuritaire en particulier. Cependant, cela ne veut pas dire qu’elles sont de tout repos et que cette activité fonctionne sur des roulettes. Au contraire, les travailleuses de sexe  font face à de sérieux problèmes notamment, celui de l’inadéquation entre l’offre et la demande raconte Martine Vania Kernizan (nom d’emprunt) qui travaille dans ce secteur depuis près d’une décennie environ. Les clients se font de plus en plus rares alors que les pétasses poussent comme des champignons dans les rues de la capitale.

«Si les demandeurs de service (clients) diminuent considérablement dans la capitale pour des raisons diverses dont l’insécurité et la cherté du coup de vie et surtout l’absence du pouvoir d’achat, toutefois les racoleuses, elles, se sont multipliées on dirait par 3 ou par 4 » a  expliqué Martine (nom d’emprunt), qui vit de ce travail.

«Autrefois, on les trouve dans des endroits très précis tels qu’au champ de mars, au centre-ville (grand-Rue), dans les rues de Pétion-ville, Au Lambi Night-club, etc.  Et parfois en toute discrétion, ce n’est plus le cas aujourd’hui », a-t-elle souligné.

Avant même le coucher du soleil, les trottoirs sont déjà remplis dans certaines zones. Les points de service se sont multipliés. Plus besoin de parcourir une longue distance pour trouver une raccrocheuse. Elles sont désormais partout, à chaque carrefour, à chaque coin, d’un trottoir à l’autre » a-t-elle précisé.

Dans toutes les activités quand l’offre devance la demande ça pose problème. Les pétasses de Port-au-Prince ne sont pas épargnées de ce dilemme de trop.

La baisse des prix

La vie des bagasses n’est pas du tout rose comme on pouvait le croire. La liste des problèmes auxquels elles font face est très longue. Outre la péripétie de l’inadéquation de l’offre et la demande qui pèse très lourd sur le fonctionnement de ces dernières ces temps-ci, les marchandes d’amour racontent également des problèmes financiers. S’ajoutent la violation de leur droit, la maltraitance…

«Les clients sont moins nombreux. Ceux qui bravent le danger pour venir ici demandent très souvent de réduire les prix soit parce qu’ils n’ont pas assez d’argent ou du moins parce qu’ils savent qu’on finira par accepter en raison de la carence. Donc, on doit de toute façon sauver la mise » a confié Ti Joselyne, originaire de la ville de Jérémie, mère de trois enfants (deux garçons et une fille) âgés respectivement de 15 ans, 10 ans et 5 ans.

«Nous faisons face à ce problème à un moment où le prix des produits grimpent, les frais d’écolage aussi » se lamente Joselyne.

«Je suis vendeuse d’acte sexuel depuis plus de 5 ans. J’ai passé plusieurs endroits dans la capitale. Lorsque j’avais commencé on pouvait gagner 35 à 45 mille gourdes par mois. Aujourd’hui, on peut faire seulement entre 15 à 20 mille par mois », se désole Ti Joselyne, qui tente d’expliquer les raisons de cette diminution brutale.

Nous sommes également victime de la recrudescence des actes de banditisme et de l’insécurité. Parce que, les gens ne sortent plus. Ils ont peur. C’est un véritable calvaire», a-t-elle expliqué.

Outre ces problèmes susmentionnés, les croqueuses font également l’objet de menace et de la maltraitance dans l’exercice de leurs activités.

«Les services à domicile sont bourrés de violence et d’acte de maltraitance parfois », a indiqué Esther, une jeune trainée d’une vingtaine d’années qui se positionne tous les soirs dans un coin à Delmas avec ses camarades.

«Une voiture s’arrête. Plusieurs filles approchent. Le client veut que ce soit chez lui ou dans un autre endroit loin de nos zones de services. On commence à se démarquer. Parfois c’est la plus résignée qui accepte cette offre. Puisque très souvent ce moment tourne au vinaigre », a informé Esther.

Parfois, les gens prennent des produits qui peuvent tout bonnement vous dérangez. Ils peuvent prendre le service et refusent de vous donner de l’argent alors que tout a été conclu d’avance. Ils peuvent  vous frapper si vous refusez de faire telle ou telle chose. Pis, vous pouvez négocier avec un seul homme et en arrivant sur le lieu vous trouverez 2, 3, 4, et même 5 parfois. C’est horrible ! Donc, vous risquez gros » a-t-elle fait savoir, d’un ton attristé.

«J’ai été frappé une fois par un homme qui au cours des ébats voulait enlever le préservatif, prétextant qu’il n’avait pas trouvé assez de plaisir. J’avais refusé. Il était très en colère contre moi. Il me faisait toute sorte de menace. Je tenais tête, parce que je sais que c’était très risqué d’avoir une relation sexuelle avec un quidam sans être protégé. Moi, je préférais mourir. Au final il m’a frappé avant de me foutre à la porte comme une chienne avec la moitié de ce qu’il avait à me donner », explique Esther.

 Absence d’un cadre légal

À date, aucun texte de loi, régissant cette activité pourtant très puisée dans la capitale haïtienne et dans les villes de province, n’a été rédigé. Donc, ceux qui veulent faire de la méchanceté à ce groupe de travailleurs sont en roue libre. Presqu’aucune contrainte.

«Les menaces, la violation de nos droits et le traumatisme émaillent nos soirées », témoigne Esther. Parfois on voulait porter plainte, mais là encore c’est un autre calvaire à surmonter, puisque, très souvent on ne nous prend pas au sérieux. Ils nous disent de changer de métier, comme pour nous ironiser. On n’a pas le choix. Donc, on encaisse, déplore Esther .

Chacun pour soi, Dieu pour tous

«Sur le trottoir c’est une véritable guerre froide entre les filles.  On se débrouille toute seule. Ce que fait l’autre ne vous intéresse presque pas. À chaque stationnement, plusieurs filles s’approchent. C’est une vraie lutte. Deux bons amies peuvent se livrer facilement dans une rude bataille pour un client, comme s’il s’agit d’une proie à capturer » avoue Esther, soulignant par ailleurs la misère d’une autre peut être vue comme une scène de plaisir.

 Sur le lieu de travail l’esprit de corps existe très rarement ou du moins accidentellement » confie-t-elle. Débouilles-toi, toi seule, a-t-elle souligné.

 Comme une drogue 

Les trois femmes ont avoué, qu’elles n’ont jamais souhaité être une vendeuse de chair dans leur plus jeune âge.  Elles avaient toutes des projets bien avant de  s’adonner à ce genre d’activité. Martine voulait être une infirmière, Joselyne une avocate  et Esther, lui, une entrepreneure.

Après plusieurs années de service, même si tout n’est pas rose pour les filles dans ce domaine, renoncer n’est pas aussi facile que l’on pense. D’autant plus, on est devenue de vraie édictée en dépit des problèmes et des risques. C’est comme une drogue !

 Livrées à elles-mêmes

Un peu partout dans la capitale, les prostitués jonchent les pas sur les trottoirs  tous les soirs. Elles sont combien ?  Qui les protègent contre la maltraitance, la violation de leur droit, etc ? A côté de cette inadéquation criante les croqueuses de la capitale sont confrontées à d’autres problèmes beaucoup plus sérieux dans le cadre de leur travail.

Le dilemme de l’inadéquation de l’offre et de la demande, l’absence d’un texte de loi de loi régissant leur fonctionnement, la maltraitance, la violation récurrente de leur droit, un manque à gagner, l’insécurité…, une véritable calvaire pour les travailleuses du sexe de la capitale et dans les zones ambiantes.