Haïti 2020 : bilans et présages

La fin d’un temps clôture un cycle et ouvre un autre cycle. Ce n’est jamais totalement fini, et c’est toujours un perpétuel renouveau. Une année qui s’achève est aussi le temps des bilans, le temps des souhaits d’une nouvelle année qui augure des espérances heureuses. Ainsi, s’achève l’année 2020 qui restera symbolique et inoubliable à plusieurs égards. Personne ne présageait que cette année marquerait autant la pensée des hommes. Débutant avec les tensions politiques internationales suites au meurtre du Général Iranien Qassem Soleimani, tué le 3 Janvier par des frappes aériennes américaines alors qu’il se trouvait en visite officielle en Irak, l’année 2020 sera connue comme l’année ‘’jumelle’’ qui a apporté malheurs et souffrances sur le plan sanitaire au niveau mondial (Coronavirus : 79,993,342 cas de personnes infectées, 1,749,235 cas de personnes décédées).

En Haïti, le bilan de l’année est plus que catastrophique tant que les conditions matérielles d’existence se sont empirées, entrainant une situation d’insécurité globale dans tous les domaines : insécurité alimentaire, insécurité sanitaire, insécurité économique, insécurité
politique, insécurité sociale, et insécurité publique.
Selon un rapport du Programme Alimentaire Mondiale (PAM) et de l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture (FAO), publié en Novembre 2020, plus de 4 millions d’haïtiens (40% de la population) sont en insécurité alimentaire, à cause des catastrophes climatiques et la situation socio-économique délétère du pays. Si rien n’est fait d’ici le premier trimestre 2021, ce sera 4,5 millions d’haïtiens qui seront menacés d’insécurité alimentaire.

Sur le plan sanitaire, c’est surtout la pandémie du Covid-19 qui a occupé le devant de la scène et exposé le manque d’infrastructures sanitaires du pays. Sur le compte twitter du Ministère de la Santé Publique et de la Population (@MSPPOfficiel), en date du 24 Décembre 2020, on y lit que 9,846 cas d’infection au Coronavirus sont confirmés, pour un total de 235 cas de décès. Malgré l’absence d’une politique de prise en charge agressive et le manque d’infrastructures sanitaires appropriées, Haïti est l’un des rares pays qui ont été les moins touchés par la pandémie du Coronavirus. Une telle note positive de l’année 2020 en Haïti vient surtout de la prise en charge domestique du Coronavirus par la population elle-même à travers des méthodes de médicine traditionnelle. A côté de ce satisfecit des institutions sanitaires nationales et internationales, il faudrait noter la gestion opaque des fonds publics liés à la pandémie du Coronavirus en Haïti ; aucune donnée financière publique n’est encore disponible.

Aucune assistance financière du gouvernement n’a été accordée à la population de manière
rationnelle et efficace. En général, les personnes infectées par le Coronavirus préfèrent garder leur situation personnelle discrète par peur d’être stigmatisées ou d’être victimes d’actes de violence de la population. Plusieurs témoignages ont rapporté le cas de personnes présentant des symptômes du Coronavirus qui étaient dans l’impossibilité matérielle de trouver un centre de prise en charge disponible ou de recevoir les soins médicaux que nécessitait leur cas. La structure globale de l’économie haïtienne est fondamentalement une structure économique mercantile basée essentiellement sur les échanges commerciaux internationaux, l’industrie de sous-traitance, les activités économiques domestiques informelles, et les transferts de devises étrangères ; la production nationale étant peu développée et est surtout liée à une agriculture de subsistance. Dans sa démarche de stabiliser la gourde par rapport au dollar, la Banque de la République d’Haïti (BRH) a vendu environ 240 millions de dollars sur le marché local pour l’année fiscale 2019-2020. A la date du 25 Décembre 2020, le taux de référence de la BRH était à 71.3854 gourdes pour 1 USD. Le Gouverneur de la BRH, Jean Baden Dubois, a annoncé l’injection de 150 millions de dollars entre les mois de Janvier et Février 2021. La corruption représente le défi majeur vers le développement durable. Le rapport de la Cour des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA) sur la gestion du fonds Petrocaribe est un scandale de plus qui a exposé les stratagèmes les plus néfastes de la pratique de corruption des acteurs politiques et économiques dans la gestion de l’Etat. Le Chef de l’Etat, Jovenel Moise, est cité à 69 reprises dans des cas de malversation liés au fonds Petrocaribe. Près de 4 milliards de dollars ont été dépensés dans la réalisation de projets opaques sans aucun intérêt collectif, sans aucun impact économique et sans aucun résultat concret sur le développement réel du pays.

Au matin du 13 Janvier 2020, le Président de la République, Jovenel Moise, garant constitutionnel de la bonne marche des institutions étatiques, constate, à travers son compte tweeter, la fin du mandat constitutionnel des députés et la caducité électorale de la fonction de certains sénateurs de la 50e Législature ; seulement 10 sénateurs exercent actuellement leurs fonctions de parlementaires suivant le principe de la permanence du Sénat. Cette attitude de force de l’Exécutif, en l’absence d’un consensus politique large, place le Chef de l’Etat comme dépositaire ‘’exclusif’’ de la souveraineté nationale, cumulant arbitrairement les pouvoirs exécutifs et législatifs, en violation flagrante de la Constitution de 1987. Les élections pour le renouvellement du mandat des élus locaux n’ayant pas eu lieu à temps, l’administration des collectivités territoriales s’en retrouve vassaliser par le pouvoir exécutif. De Janvier à Décembre 2020, Jovenel Moise a déjà fait publier près de 40 décrets, les uns plus inconstitutionnels que les autres et mettant en péril les acquis fondamentaux de la démocratie ; le spectre de la dictature se dessine et prend de plus en plus forme. Depuis les violentes protestations populaires des 6, 7 et 8 Juillet 2018, le pays est plongé dans une situation d’insécurité sans précédent avec des cas journaliers d’enlèvements contre rançon, mettant les familles haïtiennes dans un désarroi paranoïaque. Fédérés en organisation à la solde du pouvoir en place, les gangs armés sèment la terreur et installent un climat de peur au sein de la population. Connus de tous et sans crainte d’être persécutés par les forces de l’ordre, les ravisseurs ne cachent pas leur implication directe dans certains actes d’enlèvements notoires. Les cas de meurtres, de massacres et d’assassinats spectaculaires se multiplient avec le soupçon de complicité directe d’officiels du pouvoir en place dans certains cas. Notons au passage les massacres de La Saline, de Bélair, de Village de Dieu et l’assassinat du Bâtonnier Monferrier Dorval ; cités dans différents rapports d’organisations de droits humains et de l’ONU.
La population est à l’agonie et les autorités publiques sont effacées : l’Etat est mort et le
banditisme triomphe.

Après environ quatre ans au pouvoir, le régime en place n’arrive pas à satisfaire les besoins primaires et essentiels de la population dans aucun domaine de la vie courante. Les promesses creuses et fallacieuses du chef de l’Etat deviennent tout simplement une stratégie de communication improductive pour la consommation politique. Les secteurs vitaux de la vie nationale tels que l’éducation, la santé, l’emploi, l’électricité, l’eau potable, la justice, l’alimentation, les transports, la sécurité se détériorent et ne répondent plus aux attentes de la population.

L’année 2021 ne présage en rien des jours meilleurs dans le contexte national actuel. Le 7 Février s’annonce comme un tournant crucial dans la bataille politique mettant en présence le pouvoir en place et les partis de l’opposition regroupés au sein du secteur démocratique et populaire, réclamant sans condition le départ constitutionnel de Jovenel Moise à la tête du pays. Bénéficiant le soutien de la communauté internationale, le pouvoir en place annonce la tenue d’élections au cours de 2021 et l’investiture d’un nouveau président pour Février 2022, sous l’égide d’une nouvelle constitution. Sans un accord politique large, le pays s’enfoncera encore plus dans l’abime et la population continuera à en pâtir.
En Haïti, la politique prime sur tous les autres domaines de la vie nationale ; tant va la politique tant va aussi la vie. Haïti a besoin d’un nouveau leadership politique moderne capable de conduire sa destinée sur les voies du développement durable ; c’est le vœu que nous formulons pour l’avenir et que nous souhaitons voir commencer à se réaliser en 2021.

Me. Marc Wood Pierre, Av.
Avocat / Educateur