Le droit international humanitaire (DIH) vise à limiter les conséquences des conflits armés sur les populations civiles et les biens civils, sans chercher à interdire les conflits eux-mêmes. Son application repose toutefois sur une qualification précise des situations prévues dans les Conventions de Genève de 1949, ainsi que dans les Protocoles additionnels de 1977 et de 2005.
Bien que le DIH puisse coexister avec d’autres cadres juridiques comme le droit international des droits de l’homme ou le droit interne des États concernés, son application dépend du constat d’une situation entrant dans son champ. Ainsi, la crise actuelle en Haïti soulève une question fondamentale, celle de savoir, si elle relève du DIH et quelles dispositions pourraient s’appliquer.
Depuis plusieurs années, Haïti fait face à des crises multiples. Toutefois, l’ampleur de l’insécurité et de la violence a atteint des proportions alarmantes récemment.
La prolifération des gangs armés a instauré un climat de terreur à travers le pays. En décembre 2023, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en France a qualifié la situation en Haïti de « conflit armé interne », s’appuyant sur des rapports qui décrivent :
La montée en puissance des gangs (environ 300 actifs) et leurs alliances stratégiques. Une intensité exceptionnelle des violences, y compris des attaques ciblant des civils, des enlèvements et des exécutions de masse. La généralisation des violences dans des régions autrefois considérées comme sûres, comme l’Artibonite.
Les chiffres témoignent de l’ampleur de la crise :
Plus de 8 000 morts, blessés ou kidnappés entre janvier et octobre 2023. Près de 310 000 déplacés internes en décembre 2023 selon l’OIM. Une augmentation des violences sexuelles et du recrutement forcé de mineurs.
La CNDA souligne également qu’aucune protection interne n’est envisageable pour les civils, notamment en raison du contrôle territorial exercé par les gangs sur près de 80 % de Port-au-Prince et d’autres zones clés.
Pour déterminer si la crise en Haïti relève du DIH, il convient d’écarter certaines qualifications inappropriées. La crise ne met pas en cause des forces armées étatiques opposées à un ou plusieurs États. Elle se situe donc en dehors du champ d’application des Conventions de Genève pour les conflits armés internationaux (articles communs 2). Bien que les gangs soient des acteurs non étatiques, leur organisation, leur contrôle territorial et l’intensité des violences dépassent de loin une simple criminalité.
La situation en Haïti pourrait être qualifiée de conflit armé non international (article commun 3 des Conventions de Genève et Protocole additionnel II), en raison des critères suivants:
L’intensité des violences : Les affrontements entre gangs, ainsi que contre les forces de sécurité, atteignent un seuil de violence systématique et prolongée, affectant massivement les civils.
L’organisation des parties : Les gangs armés présentent des structures hiérarchiques, disposent d’armes sophistiquées et mènent des opérations coordonnées, parfois comparables à des stratégies militaires.
Ces critères permettent d’inclure la crise haïtienne dans le cadre d’application du DIH, sans exclure l’intervention d’autres régimes juridiques complémentaires, comme le droit international des droits de l’homme.
Les réfugiés sont protégés par le droit des réfugiés (Convention de 1951) et le DIH, lorsqu’ils se trouvent dans un État partie à un conflit armé. Le DIH leur accorde une protection spécifique, notamment l’article 44 de la Quatrième Convention de Genève, selon lequel les réfugiés ne doivent pas être traités comme des étrangers ennemis. L’article 73 du Protocole additionnel I prévoit que les réfugiés doivent être considérés comme des personnes protégées en toutes circonstances.
Contrairement aux réfugiés, les déplacés internes n’ont pas franchi de frontière. Ils relèvent du droit national, des droits de l’homme et du DIH en cas de conflit armé.
Le DIH prévoit des protections indirectes pour éviter les déplacements forcés et protéger les civils déplacés, notamment :
L’interdiction des attaques contre les civils et leurs biens. L’interdiction de la famine comme méthode de guerre. L’interdiction de forcer les civils à quitter leur lieu de résidence, sauf pour leur sécurité ou des raisons militaires impérieuses.
En cas de déplacement, les civils doivent bénéficier de conditions adéquates de logement, de sécurité et de réunification familiale.
La crise actuelle en Haïti, en raison de l’intensité des violences et du degré d’organisation des gangs, répond aux critères d’un conflit armé non international selon le DIH. Cela ouvre la voie à l’application des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels pour protéger les civils, y compris les déplacés internes et les réfugiés.
Le DIH offre un cadre important pour limiter les souffrances de la population, mais sa mise en œuvre effective dépend d’un soutien international accru, notamment pour renforcer la capacité de l’État haïtien et pour garantir une aide humanitaire adaptée.
Peguy YCA