La crise actuelle en Haïti est multidimensionnelle, nécessitant une approche holistique et pragmatique pour remédier aux échecs de gouvernance, à la violence endémique des gangs, à l’effondrement économique et aux ingérences internationales. Voici une feuille de route détaillée et actionable pour rétablir la stabilité et poser les bases d’un développement durable.
1. Réforme de la gouvernance : Établir un leadership légitime
Le conseil transitoire actuel, miné par la corruption et le partisanisme, est inefficace. Pour restaurer la confiance et la légitimité :
– Nommer un président intérimaire : Un juge respecté de la Cour de cassation devrait être nommé président intérimaire. Cette personne doit être apolitique, compétente en droit et largement respectée pour garantir sa crédibilité.
– Former un gouvernement spécial de consensus : Un cabinet technocratique et restreint, composé d’experts en économie, sécurité et administration publique, devrait être mis en place. Ce gouvernement se concentrerait uniquement sur la gestion de la crise et la préparation d’élections libres et équitables dans un délai de 18 à 24 mois.
– Révision constitutionnelle : Une commission d’experts juridiques devrait examiner et proposer des amendements à la constitution haïtienne pour combler les lacunes en matière de gouvernance et assurer des contrôles et équilibres.
2. Sécurité : Neutraliser les gangs et rétablir l’ordre
La violence des gangs a paralysé le pays, avec des groupes criminels contrôlant 90 % de Port-au-Prince et étendant leur influence dans d’autres régions. Une stratégie duale de dialogue et d’application de la loi est essentielle :
– Cessez-le-feu immédiat et dialogue : Offrir aux gangs une fenêtre de deux semaines pour sélectionner des représentants en vue de négociations. Le gouvernement intérimaire devrait proposer une amnistie pour les membres de bas niveau en échange de leur désarmement, tandis que les leaders devraient faire face à la justice.
– Application de la tolérance zéro : Après le cessez-le-feu, lancer une opération de sécurité coordonnée dirigée par la Police Nationale d’Haïti (PNH) et soutenue par les Forces Armées d’Haïti (FADH). Les FADH ont démontré leurs capacités et devraient prendre la tête des opérations, évitant ainsi une dépendance excessive aux forces internationales.
– Cibler les financeurs des gangs : Créer une unité de renseignement pour identifier et poursuivre les individus et entités finançant les gangs, y compris les politiciens corrompus, les élites économiques et les acteurs internationaux.
– Reconstruire la PNH : Remplacer les dirigeants compromis et créer des unités spécialisées anti-gangs et anti-terrorisme. Mener un processus de vérification rigoureux pour éliminer les officiers collaborant avec les gangs.
– Sécuriser les infrastructures critiques : Déployer une mission réduite de l’ONU (1 500 soldats) pour protéger les aéroports, les bâtiments gouvernementaux et les axes routiers stratégiques, assurant ainsi la libre circulation des biens et des personnes.
3. Relance économique : Lutter contre la corruption et revitaliser les institutions
L’économie haïtienne est paralysée par la mauvaise gestion et la corruption. Les mesures immédiates incluent :
– Audit des administrations publiques : Mener des audits forensiques de tous les ministères et agences gouvernementales depuis 2021 pour récupérer les fonds détournés et tenir les responsables corrompus pour comptables.
– Réforme de la collecte des impôts : Renforcer les systèmes de collecte des recettes pour financer les services publics et les opérations de sécurité.
– Soutenir l’agriculture et l’industrie locales : Investir dans le développement rural pour réduire la surpopulation urbaine et créer des emplois. Fournir des subventions et un soutien technique aux agriculteurs et aux petites entreprises.
– Lutter contre la contrebande : Renforcer la sécurité des frontières et collaborer avec la République dominicaine pour démanteler les réseaux de contrebande.
4. Justice et État de droit : Reconstruire la confiance dans les institutions
Le système judiciaire est défaillant, et l’impunité alimente la violence. Les étapes clés incluent :
– Établir des tribunaux spéciaux : Créer des tribunaux temporaires pour accélérer les procès des membres de gangs, des fonctionnaires corrompus et des violateurs des droits de l’homme.
– Construire une prison moderne : Ériger une prison à haute sécurité pour détenir les criminels dangereux. Envisager l’utilisation d’un navire pénitentiaire comme solution temporaire.
– Revoir les sanctions : Former une commission indépendante pour examiner les sanctions imposées par les États-Unis, le Canada et l’ONU contre des individus et entités haïtiens. Assurer un processus équitable et lever les sanctions injustes.
5. Coopération internationale : Équilibrer soutien et souveraineté
La crise haïtienne a été exacerbée par les interférences étrangères. Une nouvelle approche est nécessaire :
– Réévaluer l’aide internationale : Rediriger l’aide des programmes inefficaces vers des initiatives locales et des ONG ayant fait leurs preuves.
– Renforcer les partenariats régionaux : Travailler avec la CARICOM pour élaborer un plan de relance spécifique à Haïti, en veillant à ce que les voix haïtiennes soient prioritaires.
– Combattre les cartels internationaux : Collaborer avec les États-Unis, le Canada et la République dominicaine pour démanteler les réseaux de trafic de drogue et de traite d’êtres humains opérant en Haïti.
6. Développement social et urbain : S’attaquer aux causes profondes
La stabilité à long terme nécessite de s’attaquer aux problèmes systémiques :
– Décentraliser Port-au-Prince : Développer des villes secondaires et des zones rurales pour réduire la pression sur la capitale. Investir dans les infrastructures, la santé et l’éducation en dehors de Port-au-Prince.
– Programmes communautaires : Lancer des initiatives pour réintégrer d’anciens membres de gangs et les jeunes à risque grâce à des formations professionnelles et à l’éducation.
– Campagnes de sensibilisation publique : Promouvoir l’engagement civique et la transparence pour reconstruire la confiance dans le gouvernement.
7. Solutions créatives : Approches innovantes pour la gestion de crise
– Navires pénitentiaires : Utiliser des navires désaffectés comme prisons temporaires pour résoudre le problème de surpopulation et accélérer les procès.
– Gouvernance numérique : Mettre en place des plateformes de gouvernance électronique pour réduire la corruption et améliorer la prestation des services.
– Renseignement participatif : Développer une application sécurisée permettant aux citoyens de signaler anonymement les activités des gangs, aidant ainsi les efforts des forces de l’ordre.
La crise en Haïti exige des actions audacieuses et immédiates. En nommant un leadership légitime, en neutralisant les gangs, en luttant contre la corruption et en favorisant la coopération internationale, Haïti peut entamer son chemin vers la relance. Cette feuille de route privilégie l’urgence haïtienne, garantissant que les solutions soient locales et durables. Le temps des demi-mesures et des impositions externes est révolu ; l’avenir d’Haïti doit être construit par les Haïtiens, pour les Haïtiens.
Références :
– Rapports du Bureau Intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH)
– Déclarations de la CARICOM sur Haïti
– Mises à jour du Département d’État américain sur les sanctions en Haïti
– Constitution haïtienne et cadre juridique
– Analyses d’experts des organisations de la société civile haïtienne
Moise Garcon
Analyste politique et journaliste indépendant
Président du DAC
Coordonateur de Proposition Citoyenne
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