L’ancien Premier Ministre Robert Malval est un grand haïtien. Je ne l’ai jamais rencontré mais j’ai appris à l’apprécier à travers son ouvrage « L’année de toutes les duperies » et ses divers écrits marqués du sceau de la rationalité. C’est quelqu’un qui a aussi su dire la vérité à son peuple sans langue de bois, et à ceux qui s’imposent en force, tels nos traditionnels tuteurs, donneurs d’ordre. Il dit ce qu’il pense à qui veut l’entendre. Sa vérité nous force toujours à retrouver le sens de l’action politique. Nous devons tous regretter de n’avoir pas été gouvernés par cet homme de grande valeur qui plane au-dessus des bêtises, des préjugés et de toutes les mesquineries quotidiennes de la politique traditionnelle haïtienne. Il faut être grand aussi pour avoir Robert Malval comme Premier ministre. Le Président Jean Bertrand Aristide qui l’avait choisi est lui-même une « intelligence supérieure », une « figure de génie », pour répéter le Professeur Leslie Manigat.
S’opposer comme gouverner, c’est prévoir comme l’a souligné M. Maval dans son texte intitulé « Urgence », paru le 6 août 2021 dans le quotidien Le Nouvelliste. Alors que Jovenel Moïse a disparu depuis plus d’un mois, comment raconter au peuple qu’on est toujours à la recherche d’un consensus pour doter le pays d’un Exécutif représentatif ? Le choix de Joseph Lambert ou d’Edgard Leblanc, ou encore de Mirlande Manigat, peut redonner une image plus reluisante à la fonction de chef d’État, depuis quelques temps fortement discréditée. Le Sénateur Lambert fait consensus au sein de ses pairs et dans une frange importante de la classe politique haïtienne et de la société civile. Quant à l’ingénieur Edgard Leblanc, l’ancien Président du Sénat, il bénéficie de la confiance aussi d’une grande partie de la population haïtienne et des quelques secteurs vitaux de la nation qui voient en lui un modèle d’intégrité et de compétence éprouvée. On peut en dire autant de Mirlande Manigat, professeure de droit constitutionnel, ancienne sénatrice de la République.
L’équation devient très simple. Le RDNP, le parti de Mirlande Manigat, ne s’était pas opposé au choix de Lambert. L’ancienne Première dame a toujours avoué publiquement qu’elle a un profond respect pour le sénateur Edgard Leblanc et n’a jamais écarté la possibilité d’être membre d’un gouvernement dirigé par celui-ci. Elle n’est pas encline à devenir présidente mais si le destin le veut, elle ne le refusera pas non plus. Cependant ce qui lui tient le plus à cœur, c’est de diriger une Assemblée constituante ou être présidente d’un Conseil constitutionnel, un poste qui se situe entre l’académique et la politique. Ce serait une très belle façon de terminer sa carrière politique et intellectuelle. Donc, la position de Mirlande pourrait faciliter le choix entre les sénateurs Joseph Lambert et Edgard Leblanc. Avec l’un ou l’autre, Haïti gagnera certainement.Pourvu que la personnalité désignée soit le résultat d’une large concertation impliquant les principaux acteurs de la société.
Les trois noms font au moins un minimum de consensus au niveau de la société. Dans cette « petite élection » devant être organisée le plus vite que possible, nous avons la possibilité d’offrir une solution à la crise. À l’instar de M. Malval, que d’autres acteurs fassent aussi des propositions ! Pour une fois au moins, on dira que les Haïtiens ont fait preuve d’intelligence et de maturité.
Edgard Leblanc, Joseph Lambert et Mirlande Manigat ne sont pas des saints de l’église mais des têtes politiques qui ne forcent peut-être pas l’admiration de tous mais que nous devons les respecter. Seuls les gens qui ne font pas de politique sont exempts d’erreur. On ne recherche pas gens à canoniser mais des personnalités fortes, puissantes et expérimentées capables de décider rationnellement pour la République.
Jusqu’ici, notre classe politique s’est égarée dans des divisions récurrentes et des batailles sans grandeur. Trop d’égos en jeu et pas assez d’esprit d’abnégation et de sens civique. En politique, on ne peut pas tout avoir. Il faut apprendre à composer avec les gens qu’on n’apprécie pas forcément mais dont on sait qu’ils sont capables de réaliser le bonheur public. La politique vise le bien commun. Elle unit, désunit et réunit. Dans certaines conditions, l’affection ne joue pas mais le réalisme. Donc, il faut se demander ce qui peut devenir possible ou réel aujourd’hui et jouer sur le possible quand le désirable est inatteignable. Car en politique, le désirable n’est malheureusement pas toujours possible. On peut avoir raison et perdre. L’histoire est tout ce qui était possible à un moment de la vie. Quand on ne peut pas trouver ce qu’on veut, il faut composer avec ce qui est possible pour continuer à exister. Cela s’appelle du pragmatisme. Comme dit l’ancien PM Robert Malval « vaut mieux avoir un pied dans l’étrier que d’avoir les deux pieds à terre ». C’est logique. Raisonnable. Intelligent.
Une classe politique qui fait éternellement la politique sans que ses actions visent le bien-être de la communauté, est condamnée à disparaître. Il est dès lors évident que quiconque souhaite exister en politique, doit remplir deux conditions initiales : être capable de déployer des actions visant l’amélioration des conditions de vie de l’ensemble des citoyens et parvenir à ce que ces réalisations soient reconnues par eux. Donc, il faut être en position de notabilité et capable d’influencer, et pour cela, il faut surtout être crédible.
Toute politique s’apprécie au regard de la réalité. Or la réalité est qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas dans la Constitution de 1987 des éléments permettant de doter le pays d’un Exécutif bicéphale. Mais on peut s’en inspirer pour combler ce vide constitutionnel et institutionnel. Les forces vives qui recherchent une solution à la crise depuis quelque temps ont la possibilité de décider maintenant pour qu’Haïti ne soit pas définitivement perdue.
En attendant que des vraies élections démocratiques acceptables soient organisées, il y a là nécessité de l’agir concerté qui devrait impliquer un maximum d’acteurs de la société civile afin d’assurer l’inévitable transition. Robert Malval, Joseph Lambert, Edgard Leblanc, Mirlande Manigat, ça sonne bien dans les oreilles de plus d’un. Qu’ils se mettent ensemble, sans égoïsme pour parler d’Haïti ! À une crise exceptionnelle, il faut des figures politiques, morales et intellectuelles d’envergure nationale. Quand il s’agit d’Haïti, nous sommes contraints de faire preuve d’esprit de sacrifice et de modestie.
En ce sens, le texte de Malval va droit au but en désignant des personnalités susceptibles d’assurer la gouvernance post-Jovenel Moïse. Le document publié cette semaine par quelques experts indépendants sous la forme « d’avis universitaires » sur la conjoncture nationale, fournit une réflexion quant à la voie à suivre pour y faire face et du coup pour dénouer l’imbroglio haïtien. Cette œuvre n’appartient pas à ceux qui l’ont rédigée mais à la société, qui elle décidera de sa pertinence dans le contexte actuel. Le texte est à lire, à critiquer, à corriger, à amender et même à réécrire.
Quand aux propositions de Robert Malval, je pense qu’elles sont claires et à explorer. Cet intellectuel moderne parle sans complaisance et faux-fuyants. Dans notre arène politique, c’est un modèle d’excellence, de qualité supérieure et de patriotisme comme on n’en fait plus. Qu’il revienne plus souvent sur la scène pour donner sa pleine mesure à la République et surtout à la jeunesse dont la rédemption prochaine de notre petite patrie meurtrie doit donner une nouvelle raison de croire en l’avenir, comme à moi même !
Sonet Saint-Louis av
Professeur de droit constitutionnel, à la faculté de droit de Port-au-Prince de l’Université d’État d’Haïti
Professeur de droit des affaires à l’UNIFA