l’Opposition table sur une médiation de l’OEA pour porter le Président Jovenel Moïse dont le mandat est arrivé à terme le 7 février 2021, à quitter le palais national.
Il y a une vérité que l’on doit savoir avant d’avancer des pions sur le plan diplomatique : l’OEA n’est pas indépendante ni neutre dans la situation haïtienne. il y a des faits qui le démontrent. Il ne faut pas oublier que cette organisation internationale avait fourni un encadrement technique au CEP illégal, mis en place par le pouvoir pour la réalisation du référendum inconstitutionnel reporté sine die. Le facilitateur sollicité est donc partie prenante de la crise.
Haïti a besoin certes de la solidarité internationale pour sortir de cette catastrophe dans laquelle elle végète. Mais est-ce vraiment du soutien de cette organisation internationale dont il a besoin ? En ce qui concerne cette partie de l’opposition, on se demande s’il s’agit de puérilité politique ou de complaisance?
L’OEA a déjà pris position dans la crise. De plus, les termes de référence élaborés par l’organisation régionale en rapport à la rencontre avec les parties haïtiennes sont clairs et ne correspondent en rien à la demande d’une frange de l’opposition. Donc, s’il n’y aura pas de départ ordonné sous les auspices de cette Organisation, qu’attend donc l’opposition de ce régime en fin de règne ? Des miettes ? Pour qu’on négocie, il faut qu’on soit deux. Qu’est-ce que le pouvoir a à offrir en toute légitimité?
Comme toutes les autres organisations de ce type, l’OEA a un patron. Dans son cas, son chef est le gouvernement des États-Unis. Sa position ne peut pas être différente de son boss. Ne vient-elle pas de réciter sans faute le refrain qu’on lui a appris : « l’organisation des élections cette année pour renouveler le personnel politique » en Haïti.
Le cas de se demander pourquoi les États-Unis tiennent autant à ces élections alors que celles-ci auraient dû se réaliser depuis deux ans? Et pourquoi deviennent-elles si cruciales à un moment où tout s’effondre ?
Après le report du référendum, le pouvoir annonce des élections pour septembre. Le calendrier électoral sera revu mais le contexte de violence généralisée reste le même. Les foyers de violence s’élargissent. Ils sont désormais au cœur des quartiers huppés de Port-au-Prince. Ces motifs d’inquiétude se conjuguent avec une situation économique désastreuse qui n’avait pas empêché à l’équipe au pouvoir de dépenser des millions dans un projet de référendum dénoncé par tous les secteurs à un moment où la Covid-19 resurgit en force. Comment réaliser les élections dans de telles conditions et dans une situation où l’État est effondré ? La police nationale, la seule force nationale en activité dans le pays, vit sous la menace constante des gangs armés. Elle est même l’une des plus grandes victimes de l’insécurité. Si le gouvernement en place est incapable de faire régner l’ordre dans la capitale où sont principalement concentrées les forces de l’ordre, comment pourra-t-il sécuriser une campagne électorale qui se déroule sur tout le territoire national ?
Le véritable maître du jeu politique
Qu’est-ce qui se trame derrière cette demande internationale ? Jovenel Moïse doit avoir de lourds et troubles appuis que l’opinion publique ignore, pour se tenir encore debout après avoir volontairement décidé de ne répondre à aucun rendez-vous démocratique. Il en est ainsi quand on a l’appui des États-Unis. En pareil cas, on n’a besoin de personne, même pas du peuple qui vous a soi-disant hissé au pouvoir. Quand on a les Américains derrière vous, on peut tout faire et sans eux, on ne peut rien faire : c’est ce que l’histoire politique d’Haïti nous a appris. Le département d’État américain est le véritable maître du jeu politique chez nous. Ailleurs, Washington a une certaine influence mais chez nous, la domination est totale.
Dans cette crise politique et constitutionnelle, seule la position américaine compte. Même si tous les secteurs, y compris de prestigieuses universités américaines, sont unanimes à reconnaître que le mandat de Jovenel a pris fin depuis plus de quatre mois, le gouvernement américain, en raison d’objectifs géopolitiques, économiques et commerciaux, a une autre lecture de la crise. La défense de ces intérêts-là est beaucoup plus importante que les principes démocratiques, l’État de droit et le respect des droits fondamentaux. C’est donc en fonction de ses propres avantages que les Américains interprètent la Constitution haïtienne et imposent en tant que puissance leur vérité aux acteurs haïtiens. Comment résister si on est pas en constante dignité pour défendre l’intérêt national ? La date du 7 février dernier est passée comme une lettre à la poste parce que la solution Mécène n’etait pas celle du puissant voisin du Nord.
Du côté de l’opposition, c’est l’incohérence totale. Cette absence de vision et de consensus qui la traverse est due à une guerre de caciques pour le contrôle de l’espace politique haïtien. Ce qui explique que les propositions de sortie de crise proposées par les différents groupes politiques rivaux paraissent tellement inconsistantes.
Le pouvoir traîne par terre mais personne n’arrive à le récupérer parce que chacun a ses intérêts propres à défendre et ses propres plans à appliquer. On nourrit l’espoir d’avoir sa part de gâteau. C’est une course effrénée où chacun vit pour soi, au détriment de la collectivité. Qu’on se rappelle qu’au début, dans la perspective de résoudre la crise, chacun avait dans sa poche un juge de la Cour de cassation, sans tenir compte de la valeur et de la capacité de ce dernier à assurer la transition et à maîtriser la conjoncture. Tout se passe comme si, dans une quête d’hégémonie politique dans la perspective de la prochaine bataille électorale, on transposait sur le plan politique la bataille que se livrent les gangs pour le contrôle de pans de territoire. Dans le cadre des prochaines élections, la conquête du pouvoir passe-t-elle nécessairement par la maîtrise ou la mainmise sur la transition?
Des choix incohérents
À situation
exceptionnelle, mesures exceptionnelles. Face cet effondrement quasi total, il n’y a pas de solution constitutionnelle ni d’inspiration constitutionnelle. Il faut qu’on soit sérieux quand il s’agit du pays. Le choix d’un Président de la Cour de cassation aussi bien que celui d’un Premier ministre sans Président sont aussi illégaux qu’incohérents.
Le juge Joseph Mécène, désigné comme le chef de l’opposition, n’avait pas pris fonction, comme prévu, en tant que président provisoire. On avait conféré à ce Président provisoire des attributions constitutionnelles dévolues à un Chef d’État démocratiquement élu, notamment la nomination d’un Premier ministre. Vu l’absence du Parlement, un chef de gouvernement ne saurait être responsable que devant lui-même, une situation non prévue par la Constitution encore en vigueur.
Dans le cas d’un Premier ministre sans Président qui exercera la plénitude du pouvoir exécutif, formule proposée par une frange de l’opposition, c’est la même question qui surgit : comment justifier l’existence d’un poste de chef de gouvernement en absence du parlement, l’institution de contrôle par excellence ?
La Constitution de 1987 a créé un Exécutif bicéphale coiffé par le Président de la République et le Premier ministre. Chacun a ses attributions propres. Dans l’exercice du pouvoir exécutif, ce sont deux légitimités qu’il ne faut pas confondre. La Constitution impose la nécessité de gouverner à deux, ce qui implique un partage d’autorité entre les deux personnages de l’Exécutif. La formule proposée (Premier ministre sans Président) est incohérente parce qu’elle ne prend pas en compte ces principes de fonctionnement du régime politique haïtien défini par la Constitution de 1987 qu’on ne saurait appliquer à moitié . Elle ne résiste pas non plus à l’épreuve de la tradition et des réalités présentes.
D’un autre côté, contrairement à des idées tenaces et figées qui croient que la solution à la crise passe par la Cour de cassation, on ne peut pas accorder à un président provisoire désigné dans une conjoncture de rupture de l’ordre constitutionnel et démocratique les mêmes attributions qu’un président élu ayant prêté le serment sur la Constitution. On n’est pas dans un contexte constitutionnel où le Président peut mettre en branle l’article 158 de la Constitution pour le choix du Premier ministre. À rappeler que le président n’est pas élu en accord avec les dispositions de l’article 134 ni désigné aux termes de l’article 149 de la Constitution . Comment un Exécutif peut-il s’attribuer des fonctions législatives? Les hommes de transition ne sont pas différents de Jovenel Moïse. Ils s’enlisent tous dans le même imbroglio juridico-politique aux allures politiques désastreuses. La crédibilité de l’opposition risque de s’effondrer par ces manipulations juridiques grossières. On ne peut inspirer de la Constitution pour imposer quoi ce soit. L’ordre constitutionnel et démocratique étant rompu, il faut concocter une solution irrégulière, assumée par tous sans exclusivisme, afin de revenir à l’État de droit et à la démocratie.
Sonet Saint-Louis av.
Professeur de droit Constitutionnel
Université d’État d’Haïti
Professeur de droit des affaires à l’UNIFA
Professeur de méthodologie au CEDI
Canada, 09 juin 2021
Sonet.saintlouis@gmail.com
Tél : 509/37368310/42106723