Depuis des décennies, Haïti a entretenu une relation ambiguë avec sa diaspora. Malgré les contributions indéniables des Haïtiens vivant à l’étranger – Qu’il s’agisse de transferts financiers massifs, d’investissements directs, notamment dans l’hôtellerie, les transports en commun, les biens immobiliers, de soutien humanitaire, ou de lobbying politique en faveur du pays. – les préjugés et la méfiance persistent quant à leur intégration dans les affaires politiques et administratives du pays. Les Haïtiens de la diaspora sont souvent écartés des postes de décision et privés de droits fondamentaux comme celui de vote, sous le prétexte fallacieux qu’ils seraient déconnectés des réalités locales ou, pire encore, qu’ils seraient susceptibles de trahir la nation en raison de leur double nationalité. Ces arguments, en plus d’être réducteurs, traduisent une hypocrisie qui mérite d’être dénoncée et réévaluée.
L’argument principal contre la participation de la diaspora aux postes décisionnels est souvent qu’un Haïtien ne vivant pas en Haïti ne comprendrait pas la réalité quotidienne du pays. Mais, face aux crises économiques, sociales et politiques récurrentes, n’est-il pas évident que ceux qui gouvernent actuellement, vivant pourtant au cœur du pays, sont tout aussi, sinon plus, déconnectés de ces réalités ? Les multiples scandales de corruption, la mauvaise gestion chronique et l’incapacité à instaurer des réformes significatives montrent clairement que résider en Haïti n’est pas un gage de compétence ni de patriotisme. Comment peut-on continuer à prétendre que ceux qui vivent à l’étranger ne comprennent pas la réalité d’un pays où même ceux qui y vivent depuis des décennies ne semblent pas faire mieux ?
De plus, l’idée que les Haïtiens ayant une autre nationalité pourraient trahir le pays est particulièrement hypocrite. En réalité, les élites politiques haïtiennes, celles qui excluent la diaspora des processus décisionnels, sont souvent elles-mêmes des détenteurs de passeports étrangers, et bien des hauts responsables politiques et économiques haïtiens ont déjà envoyé leurs familles vivre à l’étranger, tout en continuant de profiter des ressources nationales. Cette situation crée une dynamique perverse où l’on diabolise la diaspora tout en poursuivant une stratégie de fuite personnelle et familiale.
Il est frappant de constater qu’une grande majorité des Haïtiens vivant en Haïti cherchent à quitter le pays, que ce soit pour des raisons économiques, sécuritaires ou d’avenir. L’obsession généralisée pour les visas étrangers en dit long sur l’état d’esprit des Haïtiens vivant sur le sol national. La volonté de partir, à tout prix, trahit un désenchantement profond vis-à-vis de leur propre nation. Il est paradoxal de constater que ceux qui sont prêts à abandonner le pays à la première occasion osent encore prétendre qu’ils sont plus patriotes ou plus au fait des réalités que ceux qui, de l’étranger, continuent à œuvrer pour un avenir meilleur pour Haïti.
Malgré cette exclusion, la diaspora haïtienne n’a jamais cessé de manifester son engagement envers Haïti. Les Haïtiens de l’étranger ont été en première ligne pour envoyer de l’aide financière, pour financer des projets communautaires, pour organiser des réseaux de solidarité, et pour plaider en faveur du pays sur la scène internationale. Loin de se désengager, la diaspora est restée un moteur de développement, un poumon économique et un soutien moral pour un pays qui, de plus en plus, semble se replier sur lui-même. Comment peut-on justifier de ne pas leur donner le droit de vote ou de leur interdire l’accès aux fonctions publiques et politiques quand ils ont, à maintes reprises, prouvé leur engagement et leur loyauté envers la nation ?
Il est temps de reconnaître que l’argument d’exclusion de la diaspora est non seulement dépassé, mais aussi dangereux pour l’avenir du pays. Haïti ne peut se permettre de se priver de forces vives, de compétences et de perspectives nouvelles dans un monde globalisé où les frontières s’effacent de plus en plus. L’idée que seuls ceux vivant sur le territoire national peuvent diriger ou participer activement à la vie politique est archaïque et contre-productive. Les défis auxquels Haïti est confrontée aujourd’hui, qu’ils soient économiques, sociaux ou politiques, nécessitent une approche globale, inclusive et innovante.
La situation est claire : Haïti est en crise. Cette crise n’est pas seulement économique ou politique, mais aussi morale. L’exclusion de la diaspora relève d’une hypocrisie flagrante qui doit être dénoncée et combattue. Haïti doit embrasser tous ses fils et filles, sans distinction de résidence ou de nationalité. Le moment est venu de mettre de côté les vieilles querelles, de dépasser les préjugés et de se tourner vers un avenir où chaque Haïtien, qu’il vive à Port-au-Prince, à New York, à Paris ou ailleurs, peut contribuer à bâtir une nation plus juste, plus prospère et plus unie.